En 2019, la Roumanie verra normalement le Japon au sein d'une poule A (Irlande, Ecosse, Japon et certainement, Samoa) où ses chances de qualification pour les quarts-de-finales seront extrêmement minces. Mais il fut un temps où la Roumanie rivalisait avec les meilleurs et s'imposait comme une puissance majeure du rugby international. Flashback sur cet âge d'or pour les hommes des Carpates, période bénie du rugby roumain qui s'étale sur près de trente ans : de 1960 à 1991. Trois décennies où les Chênes enchaînent les succès de prestige et tutoient les sommets.
Tout commença en 1960 quand, pour la première fois, la Roumanie bat sa vieille rivale : la France (11-5). Un lien fort unit le rugby hexagonal à son homologue roumain : dans un sport essentiellement anglo-saxon, les deux fédérations latines se rapprochèrent, et chaque année, un match entre les deux équipes nationales est organisé. Cette rencontre annuelle se déroulait en plein mois de novembre ou décembre, avant le Tournoi des V Nations, alternativement une année en France, l'autre en Roumanie.
Enfant, je me souviens de ces matchs-traquenards, surtout ceux joués à Bucarest, en plein hiver. La retransmission télévisée était de piètre qualité tout comme le terrain. Gris, boueux, lourd, situé dans un monde dont on savait peu de choses : le Bloc de l'Est, de l'autre côté du Rideau de Fer. Les adversaires étaient des taiseux et la France souffrait mille maux pour dompter le fier Roumain.
Régulièrement, les Tricolores reviennent de l'Est avec une défaite dans les bagages : en 1962, 1968, 1974, 1976, 1980 et 1982.
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La Roumanie arrache même deux nuls en terre française : 5-5 à Bayonne (1961) et 6-6 à Toulouse (1963). A cette époque, la Roumanie frappait à la porte du Tournoi et leur présence y était fort légitime. Ainsi, en 1980, les Chênes font match nul contre l'Irlande (13-13) à Lansdowne Road. Les locaux ne reconnaissent pas ce match comme officiel et n'accordent pas de capes à leurs internationaux. Mais l'arrogance des Home Nations ne dure pas.
En 1981, dans un match resté mémorable, les All Blacks s'imposèrent 14-6 à Bucarest alors que deux essais sont refusés aux locaux.
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En 1983, la Roumanie s'offre son premier scalp britannique en terrassant le Pays de Galles (24-6) en balade au pays de Ceaucescu. Un an plus tard, l'Ecosse réussit le deuxième Grand chelem de son histoire et, sûre de sa force, fait le voyage à Bucarest. Elle y mordit la poussière roumaine (défaite 22-28).
En 1985, c'est l'Angleterre qui se frotte aux rugueux Roumains. Dans son temple de Twickenham, la Rose s'impose après un match serré (22-15). En 1988, les Roumains battent de nouveau les Gallois mais cette fois, ils triomphent (15-9) dans l'antre même des Diables Rouges, à l'Arms Park de Cardiff dans ce qui reste une des plus belles victoires de la Roumanie. En ces années fastes, la Roumanie était définitivement la 6ème nation européenne, d'autant plus qu'elle avait régulièrement le dessus sur l'Italie. En 1977, les Chênes infligent un cinglant 69-0 à la Squadra Azurra. Deux ans plus tard, les Transalpins prennent une nouvelle leçon, 0-44.
Pas d'intégration au 6 Nations
La Roumanie était alors pressentie pour intégrer le Tournoi, mais elle laissa passer sa chance et ce fut finalement, l'Italie qui rejoignit la glorieuse compétition. En 1989, le pays est emporté par une révolution qui abattit le régime de Ceaucescu. Le rugby n'était plus une priorité. Pourtant, en 1990 à Auch, dans un match resté tristement célèbre, les Chênes s'imposèrent pour la première et seule fois en France, battue 6-12.
Sous une pluie battante, le XV tricolore - où Philippe Dintrans honorait sa dernière cape et où un jeune joueur nommé Philippe Saint-André débutait en sélection nationale - déjoua et fut incapable de prendre le dessus sur ses adversaires. Suite à cette défaite, humilié devant son public, Jacques Fouroux démissionne de son poste de sélectionneur national. En 1991, comme un chant du cygne, la Roumanie signe son ultime exploit : une victoire contre l'Ecosse (18-12) à Bucarest.
La suite est ensuite une lente descente aux Enfers et le rugby roumain sombre dans les abysses. En 2001, les Chênes explosent face à l'Angleterre (0-134), le symbole du déclin roumain. Même si elle a participé à toutes les éditions de la Coupe du Monde, jamais l'équipe des Carpates ne retrouva son lustre d'antan.
batelier
Une pensée pour M Wusek , arrière du La Voulte Sportif Champion de France 1970
Rémi teLamettra
comme quoi, tout est politique/économique. Tout. Les Roumains très clairement meilleurs que les Italiens, suffisamment bons pour rejoindre le 5N, ne se fera jamais, et ce sont les Italiens, pays d'Europe occidentale, qui rejoignent des années plus tard le tournoi.
artillon
Et pour compléter cet excellent article, les Roumains ont longtemps été compétitifs dans les sports d'équipe.
Les Roumains sont par exemple 4 fois champions du monde de hand, bien avant les 6 titres obtenus par la France.
Ils ont longtemps eu une équipe de football redoutable, avec Hagi notamment dans les années 90, dans d'autres sports, gymnastique chez les femmes ils raflaient tout...
Mais étrangement les Roumains ont à peu près disparus des radars...
Manque d'investissement, d'intérêt, d'éducation sportive ? Il est étrange de constater que ce pays existait sportivement parlant sous une dictature et s'est totalement éteint sous la démocratie. Comme pour l'Allemagne de l'est, le dopage a certainement tenu un rôle.
Droitdevant
Il y a aussi la situation economique du pays et la coruption qui a incité beaucoup de jeune joueurs à quitter leur pays pour aller gagner quelques euros à l'étranger ( en France ).
La démocratie n'a pas eu que des effets positif sur la sociétéroumaine en accentuant les inégalités. Si vous avez des joueurs roumains près se chez vous, parlez en avec eux, vous verrez
Kad Deb
Le dopage est une explication un peu courte.
Il s'agissait d'un pays du bloc de l'Est qui utilisait le sport comme vitrine internationale et outil de propagande. Les sportifs de haut niveau était soigneusement sélectionnés et préparés, avec des méthodes déjà très professionnelles. Ils ne se consacraient qu'au sport et étaient ainsi privilégiés par rapport aux citoyens moyens, même s'ils étaient faiblement rémunérés au regard de l'Ouest. D'où leur grande motivation. Les clubs étaient adossés aux grandes entreprises publiques (chemin de fer, réseau électrique, etc.) ou aux grandes institutions (armée, police, etc.) D'où leurs noms : Dinamo = club de l'électricité, par exemple.
Quand le régime s'est effondré, toute cette structure a disparu et ni l'État ni les investisseurs privés roumains n'avaient assez de moyens pour financer le haut niveau dans une économie de marché concurrentielle. Du coup, les sportifs ont dû bosser à côté pour vivre ou s'exiler pour les meilleurs. La professionnalisation du rugby a achevé de décrocher le rugby roumain, trop pauvre pour suivre.
artillon
Que dire ? Propreté, efficacité... Un véritable historien du sport.
J'aurais mieux fait de garder pour moi mes remarques naïves et puériles.
Team Viscères
Le dopage se connecte quand même avec tout ce que Kad Deb développe très bien. Mêmes moyens mis en oeuvre dans le même but.
Grand Sachem aux sages commentaires
Leur disparition des radars n’est pas complètement mystérieuse : dans les années 90, le rugby est devenu pro. J’imagine que peu de clubs roumains ont un budget du niveau des clubs de Top14.
artillon
Et il faut le déplorer. Comme en politique, le pluralisme a du bon. La preuve ce soir avec la Colombie en foot. Le rugby à 7 présente plus d'universalité au moins.
Les pays de l'est ont beaucoup à nous apporter pourtant. La Géorgie a réussi à exister quand même pas trop mal, tu me diras.