Les rugbymen gagnent-ils trop d’argent ?
Depuis 2000, le salaire moyen a presque triplé, passé de 5.300 € bruts mensuels à 13.500 €. Qu'en pensez-vous ? Les joueurs de rugby gagnent-ils trop d'argent ?
Régulièrement, lorsque je lis le niveau des budgets ou des salaires à la hausse chaque année dans le rugby professionnel français, je me souviens d’une interview de Pierre- Yves Revol, alors président de Castres, que j’avais réalisée en décembre 2001, je débutais à L’Equipe. Revol disait alors que le rugby français, encore très soutenu par des mécènes, ne pourrait se développer éternellement, qu’il fallait garder les pieds sur terre et ne pas favoriser l’inflation des salaires... Dix ans plus tard, sous sa présidence à la LNR, le salary cap (aisément contournable(1)) vient d’être porté à 9,5 millions d’euros.
Depuis 2000, le salaire moyen a presque triplé, passé de 5.300 € bruts mensuels à 13.500 €. Depuis 2004, le budget moyen par club a également presque triplé, de 6,1 millions d’euros à 17,89 millions d’euros. « Ah, mais on est encore loin des sommes du foot, ma bonne Lucienne. » Et alors ?

Avec un tel niveau de rémunération, le rugbyman professionnel de première division entre dans le cercle très fermé des 1% des salariés les mieux payés de France, où le salaire médian(2) se montait royalement à 1.653 € bruts mensuels en 2009 (source INSEE). Mon propos n’est pas de discuter du mérite de leurs revenus, les joueurs sont les premiers acteurs du spectacle qui génère les recettes à partir desquelles on les rétribue, il est normal qu’ils touchent en retour une part non négligeable du gâteau. Mais je m’interroge tout de même sur la valeur absolue de cette rémunération en soulevant deux points :
1. À quelques exceptions près, les clubs souffrent chaque année pour boucler leurs budgets (budgets en baisse en Pro D2, au passage). Combien d’augmentations de capital, de rallonges de partenaires, de chèque de présidents-mécènes, de soutiens publics(3) pour permettre in fine le paiement de ces salaires très élevés ? Pour moi, l’inflation de ces salaires, alimentée conjointement par quelques présidents et certains agents, est à l’origine de l’augmentation générale des sommes engagées dans le rugby pro. A-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
2. Que crée-t-on d’autre qu’une population à part, dans sa bulle en assurant de tels niveaux de rémunération ? Les derniers représentants de la génération ayant connu deux rugbys, l’un « chichement » rémunérateur, l’autre, l’actuel, bien plus, mettront un terme à leur carrière dans les années à venir, il ne restera alors que des joueurs n’ayant connu que le professionnalisme « pur et dur », hautement rémunérés dès leur plus jeune âge, courtisés sur la scène médiatique. Or la conscience d’être des privilégiés, affirmée à tout va par ces jeunes joueurs, ne se décrète pas, elle s’expérimente, s’exprime particulièrement dans la comparaison vécue. Quant à l’argument, a priori imparable, consistant à dire qu’on est encore loin des montants du foot, il ne me convainc absolument pas. Tout d’abord, la rémunération des internationaux français d’aujourd’hui, en additionnant leurs salaires parmi les plus élevés (disons large entre 20.000 et 40.000 €) aux primes touchées en équipe de France (voir plus bas), est largement du niveau moyen des footballeurs de L1 (40.000 € bruts mensuels). Ensuite, ce qui m’intéresse le plus, c’est la comparaison avec le monde qui les entoure, pas la comparaison avec les sommes folles et indécentes du football (un basketteur de Pro A touche en moyenne 10.000 € bruts par mois, un handballeur de D1, 5.000 €). Pour finir, la carrière des sportifs est courte, dit-on, et ils risquent la blessure ? Ces derniers arguments ne me convainquent pas plus. Paierait-on un ouvrier 10.000 € par mois sous prétexte qu’il a de fortes chances de se flinguer le dos, d’inhaler des substances nocives ou de tomber d’un échafaudage ?

Ces sommes font rêver certains, pas moi. Elles couvrent désormais les pages transferts de la presse spécialisée. Elles sont colossales et totalement déconnectées du reste de la société, donc d’une grande majorité des supporters présents dans les stades ou devant leur télé ; en décalage aussi avec les autres salariés des clubs et tous les bénévoles. Pour moi, elles contribuent à faire des rugbymen professionnels des gens trop à part, à les éloigner de leur base, à ôter au rugby sa taille humaine. À en faire définitivement un sport comme certains autres, et pas pour de bonnes raisons.

(1) Le salary cap est le plafond de masse salariale que ne doivent pas dépasser les clubs. Il prend en compte uniquement les salaires bruts payés par le club hors charges patronales, il ne considère donc pas les droits d’image et autres revenus, salaires ou autres, accordés par des partenaires, ni les avantages en nature (maison, voiture, etc.).

(2) Salaire médian veut dire que la moitié des salariés de France gagne plus de 1653 € et l’autre moitié gagne moins.

(3) On pourrait aussi s’interroger plus avant sur les investissements des collectivités publiques dans de telles entreprises.

Que gagnent les internationaux français en équipe de France ?

Par convocation : 1.265 €
Par Sélection : 3.795 €
Par Victoire à domicile : 4.840 €
Par Victoire à l’extérieur : 7.150 €
Prime de Grand Chelem : 29.150 €
Soit, en cas de Grand Chelem, pour un joueur ayant participé au cinq matches : 83.270 €.
Prime de Coupe du monde : 140.000 € pour les finalistes (180.000 s’ils avaient été champions)

Merci à Ludovic Ninet pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • leminet34
  • il y a 11 ans

Chacun son boulot, les chefs gagnent plus normal.
Tout le monde n'est pas au même niveau comme dans tous les sports co.

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