Tu joues au rugby depuis l’âge de 4 ans, tu as connu quasiment toutes les catégories possibles de ton sport. Tu as évolué physiquement pour être de plus en plus performant, tu essaies de te faire une place dans la hiérarchie de ton poste et tu veux prendre du plaisir sur un terrain comme tu en prends depuis des dizaines d’années. La saison avance, les résultats suivent, tu te sens bien et tu t’apprêtes à vivre 80 minutes de bataille comme c’est le cas tous les dimanches. Tes parents sont venus te voir, tu enfiles la tenue de l’équipe fanion avec fierté. C’est le moment de défendre le blason.
1. La désillusion
Mais alors que la bataille fait rage, que le score est serré, tu restes à terre. Cela aurait pu être un simple coup, un souffle coupé, mais ce « crac » que tu as entendu n’était pas des plus rassurants. Ni ton coéquipier, spectateur de l’action, qui s’exclame : « Putain, le genou a tourné ! ». Oui, comme il le dit ça a tourné, et bon dieu ça fait mal. Tu sors. Tu essaies de rester digne en rejoignant les vestiaires. Tu commences à faire le point, les autres le font aussi pour toi. Quelques jours plus tard, le verdict tombe. La saison s’est terminée pour toi sur ce plaquage que tu aurais pu éviter. Tu refais le monde mais il est temps d’accepter, tu finiras cette saison comme simple spectateur, témoin des exploits des copains. Mais bon, il arrive des choses plus graves dans la vie, c’est réparable, tu ne vas pas pleurer sur ton sort : ça arrive aussi aux autres. La saison prochaine « tu reviendras plus fort ».
2. L’espoir
Au début, tu as de l’entrain, tu viens assister aux entrainements qu’il pleuve ou qu’il vente. Le dimanche, tu épaules tes copains dans les vestiaires, tu lances des regards emplis de motivation. Tu veux leur montrer que tu fais partie du groupe malgré tout. D'ailleurs, l’entraineur ne cesse de le répéter : « Pensez à ceux qui ne peuvent pas mettre le maillot aujourd’hui ! ». Tu es fier de ce qu’accomplissent tes copains, ceux avec qui tu as beaucoup travaillé. Tu ne cesses de dire que « ça ira !» aux fidèles supporters, ceux qui ont porté le même maillot que toi il y a longtemps, et qui te félicitaient les semaines précédentes.
Toi qui rechignais à la tâche, tu fais des efforts considérables pour progresser et revenir au plus vite auprès de tes coéquipiers. Des mois ont passé, ton corps est flambant neuf, réparé du moins. Moralement, ça va. Après d’innombrables séances de soins et de renforcement, tu es prêt à retourner la terre entière lorsque ce médecin du sport t’annonce ton retour prochain pour suivre le même entrainement que l’équipe. Le sourire aux lèvres, tu troques les baskets pour les crampons qu’on t’a offert pour ton retour. Même si tes copains ont déjà avancé dans la saison, tu es content de les retrouver. Petit à petit, l’euphorie prend le dessus. Tu t’engages un peu plus, sans non plus oser le contact, comme si tu étais à tes débuts. Tu cours partout pour montrer que tu es là.
3. La déception
Mais au moment où tu te sens le mieux, le corps se détache de ta tête et décide de lâcher. Encore. Tu t’écroules sur un appui anodin. Le cauchemar revient. Tu n’as pas joué depuis dix mois et à première vue, tu es reparti pour un tour. Erreur de diagnostic apparemment. Optimiste, tu tentes malgré tout de continuer, tu enfiles les baskets et tu cours. Au fond de toi, tu sais que ça ne va pas. Tu es instable, tu manques de tomber à chaque arrêt, et même à la descente de ton lit. Tu connais la chanson, docteur-examens-verdict : tu dois encore y passer. Mais pas tout de suite, tu n’as pas encore digéré la première, c’est impossible de te remettre en selle. Puis, il y a des choses plus importantes à gérer.
Le retour s’éloigne encore. L’euphorie a laissé place à la déception, les illusions ont disparu. Tu t’apprêtes à vivre les prochains mois les plus difficiles de ton humble carrière, sans le savoir. Tu ne vas plus aux entrainements. Les matchs, tu n’y assistes pas à tous, c’est devenu trop dur. Avec tes coéquipiers, une routine s’est installée parce que tu es l’éternel blessé, c’est devenu normal de ne pas te voir en tenue. Tout te rend nostalgique. Sentir le synthol aux abords des vestiaires. Entendre le bruit des crampons qui claquent sur le carrelage. Voir ceux avec qui tu te serrais il y a des mois, sortir défendre les couleurs sous les clameurs du public. Même aux anciens qui prennent de tes nouvelles, tu ne veux même plus en donner, alors tu fuis. Tu fuis cette réalité, tu t’écartes tout seul du groupe. Tu te considères comme un supporter lambda lorsqu’arrivent les phases finales. Las, le rugby, tu ne veux plus en entendre parler, tu suis uniquement celui de la télé, ça occupe. Mais de toute façon on ne t’y reprendra plus. C’est décidé, tu arrêtes.
4. La résurrection
Voilà maintenant quatorze mois que tu n’as pas posé un pied sur le pré. Tu deviens colérique, aigri, tu as besoin de te défouler pour évacuer. Mais le rugby n’est plus là pour ça. Alors tu te traines, tu prends du poids et les tentatives désespérées de jogging sont interrompues par un manque de souffle. Tu serres les dents, mais tu te rends à l’évidence. Tu es encore jeune, le seul moyen d’aller mieux c’est de reprendre le chemin des terrains. Comme un habitué, tu te relances dans le combat opération/rééducation. Quelques mois plus tard, tu trottines enfin. Pas de quoi t’inscrire pour le marathon de New-York mais tu cours, le souffle revient.
Après un an de rééducation, tu passes un été à pester contre toi-même parce que tu n’es pas au niveau physique que tu avais quand tu as arrêté. Mais la date de ton retour s’approche, tu n’as jamais été aussi près (et prêt) de ton évènement, ton moment de gloire personnelle. Tu as attendu ça pendant des mois. Tu te l’es imaginé en regardant ces vidéos sur YouTube. Aujourd’hui, tu reprends tes rituels d’avant-match. Par superstition, tu changes de place dans les vestiaires et tu mets plus de bandages qu’avant, mais les gestes sont restés les mêmes. Le short, les chaussettes, les crampons, la crème chauffante, le strap, un peu de « ricqles » pour faire comme les anciens. Puis tu attends. Tu respires profondément, tu y es dans cet endroit que tu aimais tant.
Tu reçois le maillot, tu remercies celui qui te le tend. C’est un beau nombre le 18. Un regard complice vers tes copains. Tu fermes les yeux en repensant à tout le chemin parcouru pour vivre cet instant. Tu enfiles l’habit de lumière. Ça y est, après vingt mois, tu es redevenu un joueur de rugby. Alors oui, tu n’es pas Jonny Wilkinson ou Raphaël Poulain, mais comme tu l’as dit si bien à tes parents à la fin du match : « Putain, ça fait du bien ! »
amos
Superbe.
Du vécu pour beaucoup d'entre nous !
Mais dans les petits club, où l'entraineur te demande non-chalement pendant ta convalescence si tu pourras reprendre plus tot, ou au moins l'entrainement, parce qu'on manque de monde, parce que lors des matchs en extérieur on a du mal à remplir la fiche de match... Tu subis la pression, et tu finis par te dire que c'est toi le problème, pas ta blessure.
Alors tu pousses à la rééducation, tu brules quelques étapes, mais c'est pas grave, t'es un "guerrier" hein ! Et puis tu rejoues un mois plus tot parce que le club est vraiment à la deche et que du 4 au 8 tu peux jouer (bah ouais t'as 2 bras et 2 jambes non ? T'inquiete pas ça va aller, tu joueras doucement mon gars !).
Sauf qu'en face ils sont pas au courant que tu dois jouer doucement, et tu prends un gros bouchon à retardement, complétement hors du cours du match et là l'épaule ressort. Mais tu te releves, parce que le remplaçant c'est toi et que le gars que tu remplace est cramé jusqu'à la moelle, il a tout donné pendant 60min.
A la fin du match, ta femme t'emmene aux urgences, et là c'est le "drame", le verdict tombe, tu replonges pour 6 mois, ta saison est finie ... une fois de plus.
Un seul truc change, cette fois ci, tu ne reviendras pas sur le près. Le chirurgien est formel, t'as l'épaule d'un gars de 70 piges ... à juste 27ans.
En gros, se blesser, c'est normal, mais si le médecin a fait 10 ans d'étude de plus que ton coach ... c'est le doc qu'il faut écouter, pas le gars qui veut 17 noms sur sa feuille.
junior danet
Amos tu sait aussi qu'avec ce putain de sport ont veut y retourner le plus vite possible pour ne pas laisser les potes dans la mouise,a nous d'écouter notre corps !(je ne l'ai pas fait,hernie cervicale opérée rugby terminé!)
Fanch
Beau texte. J'ai eu la chance de ne jamais me trouver dans cette situation. Le "pire" fut une tentative de fusion entre ma mâchoire" et le poing d'un 7 ou 8 adverse. 2 molaires ont fait grève et se sont barrées. La fusion n'a pas eu lieu, du coup. Prémonition?
Kiwi Ripou
Je me souviens de mon médecin après une chirurgie de la main.
"Vous pouvez reprendre le sport"
"Ah bon. même le rugby?"
"Ah bah non. Il faut pas déconner"
snif snif
vinsg26
bonjour,
tres belle article. on sent le vecu. merci
Alex1263
Je ne commente pas souvent, mais là... Pour reprendre la dernière phrase : "Putain, que c'est beau"
Chavrouxx
Presque ça. Mais moi je me suis reproduit pendant ma convalescence, je travaille 1 semaine sur 2 jusqu'à 20h ( et plus si affinité), ma femme travaille aussi jusqu’à 20h parfois du coup je dois garder le gamin alors que je pourrais y aller, bref si je fais 2 entrainement par mois c'est le bout du monde et ça fait chié d'être en tribune et de voir les copains ...
sha1966
c'est exactement ca sauf que pour moi y a pas resurrection . poignet defoncé : INterdiction de jouer donc on a laissé les crampons, le protege dents et le casque dans le sac et on regarde les potos jouer le dimanche
junior danet
Putain c'est beau j'ai chialé!
Kanpai
Effectivement, c'est un très bel article !
Et ça fait plaisir de lire de bonnes choses avec tout ce cirque dans le rugby actuel .