Quentin Frison a 24 ans depuis le 21 novembre dernier. Un an plus tôt, un scanner passé le jour de son anniversaire révélait pourtant le pire : ce passionné de ballon ovale souffre d'une leucémie. Lui et ses dix-huit années de rugby (Dreux, puis Orléans chez les jeunes, en Fédérale 2 et 3 tout en passant par la division Honneur) allaient devoir livrer un véritable combat contre la maladie. À l'aube de la saison 2015/2016, celui qui fut également éducateur sportif au RC Orléans est pourtant au top de sa forme : il participe à de nombreux tournois à 7, dont la Coupe du monde des clubs à Limerick - dans le stade du Munster - sous le maillot du Stade Français. "Je démarrais cette nouvelle saison serein et très confiant." Titulaire lors des huit premiers matchs de la saison, il est même nommé capitaine de l'équipe. Il nous raconte son histoire (spoiler : elle se termine bien !)
Salut Quentin ! Ton parcours rugbystique a été stoppé par la maladie, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce qui t'es arrivé ?
En octobre/novembre 2015, je me sens très essoufflé aux entraînements et en matchs. Je décide mi-novembre de voir le médecin car je tousse énormément et suis constamment essoufflé même au repos. Je passe une radio, on remarque qu'un de mes poumons est totalement compressé par du liquide qui s'est logé en dessous. Rien de grave. Je passe un scanner quelques jours plus tard : le 21 novembre, jour de mon anniversaire. Je montre les résultats à mon médecin qui m'envoie aux urgences avec un lettre destiné à un chirurgien sans plus de précisions. Je passe la nuit aux urgences, où l'on me dit que j'en saurais plus le lendemain, lorsque j'aurais vu le chirurgien.
C'est là qu'il m'annonce que j'ai des ganglions dans le médiastin (organe du thorax), ce qui s'apparente à des tumeurs cancérigènes : il faudra suivre des chimiothérapies. Il m'opère le jour-même, notamment pour drainer tout le liquide sous mes poumons et me poser un boîtier sous la peau pour faire passer les chimios. J'avais plus de 2 litres qui compressaient un de mes poumons, j'étais à 50% de mes capacités respiratoires. Pendant un mois et demi, j'avais joué avec ça !
La suite, c'est quoi pour toi ?
Dans la foulée, les premiers messages de soutien fusent, ce qui me touche beaucoup : dans le monde du rugby, ça va très vite. On m'annonce ensuite à l'hôpital que je souffre d'une leucémie aigue de type lymphomes lymphoblastique. Dès le lundi suivant, j'allais commencer mon traitement et passer cinq semaines en chambre stérile.
J'ai passé mon dernier week-end où j'ai fait la fête vendredi soir, samedi soir et pour finir le dimanche à Orléans, où nous recevions Tours pour le derby. J'avais des amis dans les deux équipes, tout le monde étaient au courant. Mes coéquipiers avaient arboré un t-shirt spécial pour l'échauffement, avec marqué dessus "Courage la Frise". Comme si ça ne suffisait pas, juste après le match, ils m'ont également offert un maillot du club où tous mes coéquipiers avaient écrit un petit mot. Un ami jouant à Tours est également venu me rendre visite en chambre stérile avec un maillot de leur équipe, signé par les joueurs.
Cette première phase de traitement en chambre stérile s'est très bien passée, bien que je sois totalement confiné : j'ai eu beaucoup d'appels, beaucoup de messages, de soutiens sur les réseaux sociaux... et - le plus génial - beaucoup de visites : j'ai dû tenir comme une secrétaire un planning pour organiser les visites ! Un des gros points positifs de ma maladie, c'est bien celui-ci : j'ai reçu de l'amitié et de l'amour comme jamais je n'aurais reçu si je n'étais pas tombé malade. Je me suis attaché à tout ce qu'il y avait de positif, comme une personne simple d'esprit sans penser au reste, et paradoxalement, même avec la situation que je vivais, j'arrivais à être heureux !
Les cinq semaines en chambre stérile terminées, que s'est-il passé pour toi ?
J'allais dix jours chez moi, puis une semaine à l'hôpital. J'ai fait huit mois de chimios jusqu'en juillet, plus des ponctions lombaires et quelques interventions chirurgicales suite à des complications. Une greffe de moelle a été envisagée, ce qui aurait rallongé d'un an et demi toute cette histoire, mais j'apprends fin août que je suis en rémission complète, et que je n'ai pas besoin de cette greffe.
Entre-temps, tu reprends même le sport, et tu gardes en tête l'idée de rejouer au plus vite au rugby !
Ayant repris le sport de manière plus régulière et quasi-quotidienne depuis un mois, je me risque à demander quand on me retirera mon boîtier sous la peau, qui m'empêche de m'entraîner totalement au rugby à cause des contacts. On me répond que ce sera fait dans les six mois qui vont suivre et que je pourrai par conséquent rejouer plus tôt que ce que j'espérais. Deux mois passent et je reçois un courrier de l'hôpital. Au final, on me retire ce boîtier le 21 octobre, puis on me signe ma licence avant que je m'entraîne totalement début novembre.
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Ta maladie ne t'a pas empêché de continuer à voir tes coéquipiers. Le rugby, c'était vraiment LE moyen de remonter la pente et de continuer à vivre "normalement" ?
Étant la moitié du temps hors de hôpital à partir de mi-janvier, j'ai continué à aller aux entraînements. Rien que de revoir tous mes partenaires et amis, c'était un réel bonheur. Au fur et à mesure, je faisais des circuits training en muscu pendant que les blessés faisaient de vraies séances. Et je partais faire des footing avec d'autres, qui devaient s'adapter à ma piètre condition. Tout ça avec mon masque sur la bouche et le nez car je devais être constamment protégé.
J'allais les voir jouer à l'extérieur, en voiture, puis après en prenant le bus avec eux. À domicile je mangeais avec eux, j'ai continué de faire office de DJ comme lorsque je jouais. Je participais toujours à la vie de l'association des joueurs, qui fait vivre tout le groupe seniors du RCO. Mis à part les semaines des chimios, je menais la même vie : à aucun moment, on me rappelait que j'étais malade. Je faisais toujours partie intégrante de ce groupe seniors et de ce club.
Et les 3ème mi-temps ?
Elles ne faisaient pas exception à la règle ! Les dimanches soir, même veille d'une rentrée pour un séjour à hôpital, je restais au club house. Je participais à la fête, je buvais bien évidemment très raisonnablement, si ce n'est pas du tout. Mais je chantais, dansais et servais au bar. Lors de chimios plus resserrées - trois semaines de suite au mois de mai - je me débrouillais parfois contre l'avis des médecins, pour m'échapper un jour du week-end. Je suis allé à un mariage à 1h de route, j'organisais et je participais à un tournoi de touch' géré par l'association des joueurs seniors, puis j'ai accompagné sur Paris une équipe du club sur un tournoi de Seven. Tout ça, bien évidemment, sous condition d'être de retour pour 8h à l'hôpital le lendemain matin.
Début juillet, nous sommes partis en voyage de fin d'année aux Baléares. Plage, fête, fou rire, copains et souvenirs au programme : je ne pouvais pas louper ça ! Je me lâche et vis le voyage comme une vraie 3ème mi-temps. C'était fatiguant, certes, mais je pense nécessaire pour me sentir bien. Je m'interdisais de vivre comme un malade alors que j'étais capable de faire certaines choses aussi bien qu'avant.
Aujourd'hui, tu es donc totalement remis, tu as gagné ton combat contre la maladie ?
Je suis en rémission complète. Cependant, dans la procédure, je suis toujours sous traitement durant deux ans avec des cachets à prendre tous les jours, puis une chimio et une ponction lombaire par mois pendant un an. C'est beaucoup moins lourd que tout ce que j'ai eu, donc ça me permet de pouvoir faire du sport tous les jours. J'ai rejoué mon premier match en tutorat avec Dreux, le 6 novembre après une trentaine de minutes d'entraînement à plaquer quelques jours avant. C'est allé vite ! Mon dernier match datait du 8 novembre 2015.
Et alors, pas trop dur ton retour à l'entraînement ?
Il a été simple. D'abord parce que je suis resté très présent dans le groupe, puis parce que j'ai continué à m'entraîner dans la limite de mes moyens. Je pense que mes coéquipiers ou coachs ont ressenti de la joie que je reprenne, mais comme si c'était tout à fait normal. Comme un joueur qui revient après une blessure. Un ami le dit très bien lui-même : "tu as repris comme si de rien n'était. On n'a pas l'impression que tu as réalisé quelque chose d'exceptionnel et d'incroyablement fort !" La raison, c'est que je ne me rends pas compte de ce qu'il y avait de si fort là-dedans. Un joueur qui revient de blessure semble tout à fait normal. Ça ne pouvait que se passer comme ça.
Tu délivres un sacré message d'espoir.
Cette interview pourrait montrer aux personnes touchées par le même genre de maladie que moi ce que nous somme capable de réaliser, nous malades. On est condamnés à rien lorsqu'on a un cancer, on est seulement condamnés à réussir. C'était aussi ma philosophie. Je suis malade donc je dois subir des chimios, ça c'est acté. Je ne peux rien y changer, je n'en suis pas maître. En revanche, il y a une chose que je peux faire, ce sont des efforts sur pleins de choses. Là-dessus, je peux être maître et agir. Et lorsque je les fais, c'est du positif sur mon mental, mon bonheur et indirectement ma santé. Je me suis dis, "c'est génial, les seules choses que je peux faire, ce ne sont que des choses qui me feront aller mieux, alors autant en faire un maximum."
La semaine suivant ton retour à la compétition, c'est avec Orléans que tu rejoues. Qu'est-ce qu'on ressent à ce moment-là ?
La semaine suivante, trois jours avant mon deuxième match, je subis la chimio et ponction lombaire mensuel. Le lendemain, je prends part à l'entraînement pour préparer au mieux possible le match du week-end.
J'ai donc rejoué avec Orléans (équipe B) le 20 novembre au PUC, qui était 1er ex-aequo à ce moment là. Nous avons gagné 28 à 25, tout en prenant la tête du championnat.
Mes vieux démons étaient toujours présents. Je n'étais même pas heureux d'avoir enfin rejoué avec tous mes amis, la déception de ma performance personnelle prenait largement le pas. Pourtant, c'est logique que je sois physiquement en-dessous et en recul dans le jeu. Mais c'est plus fort que moi : je suis déçu de ma prestation et je suis en colère. Je n'ai jamais été indulgent avec moi-même.
Le 27 novembre, je rejoue enfin au stade Marcel Garcin d'Orléans ! Malheureusement, on perd le match sur une interception à la dernière action mais cette fois-ci, je suis heureux. Je savoure enfin mon retour et je relâche tout. Un ami me porte en triomphe, le public m'applaudit, les amis, éducateurs et enfants de l'école de rugby scandent mon prénom.
Cette fois, je suis content de mon match, j'ai été plus présent sur les actions, grattage,
plaquage, duels gagnés : bref, les gens me félicitent pour mon match.
Et maintenant ? La suite, c'est quoi pour toi ?
La priorité absolue, c'est de retrouver un vrai boulot dans le monde du sport, principalement le rugby, ce qui me permettrait de louer de nouveau un appartement. Ce qu'on peut me souhaiter ? De garder toutes les personnes qui ont été là pour moi (il y en a tellement qui mériteraient d'être citées), que je puisse retrouver un jour le niveau que j'avais avant la maladie. Mais surtout,
que je continue à jouer et rester au contact de notre merveilleux sport le plus longtemps que la vie voudra bien me le permettre.
arnaud famy
chouette interview ! merci pour l'exemple et tes mots ! courage à toi pour la suite
mounjet
tu sais quoi garçon, j'ai une vieille écho bien pourrie à faire en urgence demain et je garde bien au chaud tes mots sur les efforts que tu peux faire pour lutter, ça peut servir.
Le rugby doit quand même aider un peu les gamins à devenir des hommes ou des femmes de valeur, y'a des preuves...
FELIXIGOR34
Superbe message d'un homme au mental extraordinaire !! Quel exemple!! Chapeau bas Monsieur.
Montmirail
Super interview d'un super mec! Ca illumine ma journée!
Merci et bravo Champion!!