Il y a des carrières plus linéaires que d’autres. Des parcours tout tracés, des évolutions croissantes mais aussi de véritables montagnes russes, parfois, dont peu sont finalement capables de s’extirper. Et dire qu’Akira Ioane - qui fêtera sa première sélection sous le maillot à la fougère ce samedi face à l’Australie - se range plutôt dans cette dernière catégorie relève du doux euphémisme. Déjà, le troisième ligne de 25 ans a longtemps souffert comme d’autres avant lui des profils ultra-complets dont raffole la Nouvelle-Zélande à son poste, trop bien habituée par les divins Kieran Read, Victor Vito, Jerome Kaino voire Liam Messam depuis plus de 10 ans.
Aussi, nul n’est prophète en son pays et à l’instar de Mathieu Bastareaud ou Rup’s en France, l’international à 7 souffre depuis le début de sa carrière de l’image « esthétisée » que requiert le rugby professionnel aujourd’hui. A mille lieux de la bedaine pendante que possédaient autrefois presque tous les avants du championnat de France. Et si l’on concédera qu’il faut vivre avec son temps, il est parfois regrettable de ne juger ces champions à leur unique apparence, en fermant les yeux sur leurs qualités souvent uniques et sacrifiées sur l’autel des tablettes de chocolat ou d’une VMA de coureur de fond éthiopien.
Pour le premier des frères Ioane, gaillard comme pas grand monde (1m94 pour 113 kg) en forme et plus rapide que la moitié des trois-quarts du Super Rugby dans les bons jours, ce sont longtemps son manque d’endurance sur le pré ainsi que son profil un peu trop bulldozer qui lui ont été reprochés. Pas aidé, il est vrai, par un physique loin d’être musculeux et un style négligé que gangrène sa grosse barbe noire et mal taillée. Pourtant et c’est bien là le principal selon nous. Le garçon né au Japon a aussi pour lui une force herculéenne et une capacité folle à s’enrouler autour des défenseurs, lui permettant de traverser les défenses comme cinq ou six joueurs du circuit international, tout au plus. Ce qui se vérifie quand on sait qu’Akira à déjà inscrit aujourd’hui 22 essais en 53 titularisations en Super Rugby, meilleur ratio des Auckland Blues sur la période derrière… son frère Rieko.
Descente aux enfers et remise en question
Quelquefois appelé dans le groupe, son nom ne fut pourtant jamais couché sur une feuille de match internationale par ses coachs, en dépit d’un match de semaine non-officiel face aux Bleus fin 2017. Son faible jeu sans ballon n’y étant alors certainement pas pour rien, la vox populi comme les autres lui reprochant son manque de déplacement dans le jeu courant et son apathie en défense. Le faîte de son manque de professionnalisme ? Peut-être son incapacité à élever son niveau afin d’attraper le wagon du mondial nippon l’an dernier, ce que l’ancien staff des Blacks semblait avoir en travers de la gorge, Steve Hansen en tête. « C'est le même problème qu'il a toujours eu. Il est entré dans la saison pas aussi en forme qu'il aurait pu l'être et a joué tous les matchs pour les Blues en même temps qu'il essayait de se remettre en forme, s’agaçait l’ancien boss kiwi dans les colonnes du Stuff en 2019. (…) C’est un athlète peu déterminé. Nous savons quelles sont ses qualités, mais il doit s’approprier cela. Vous ne pouvez pas faire boire un cheval qui n’a pas soif. Il doit décider d'avoir soif lui-même. »
Le moment le plus difficile de la jeune carrière de Ioane, qui confiait lors d’une visioconférence enregistrée avec son ami Ardie Savea en mars dernier, « avoir été au fond du seau pendant et après la saison d’ITM Cup », avoir « perdu confiance en ses capacités » et eu « des problèmes d’alcool et de poids » pour noyer son chagrin en suivant. Il songea même à « tourner le dos au rugby », avant de se raviser grâce au soutien de sa famille, ainsi que de son capitaine et ami TJ Faiane, avec qui il forme les « Dorito’s boys ». C’est d’ailleurs après une profonde discussion avec son paternel - l’ancien international samoan Eddie Ioane - que le grand gaillard aux cheveux teintés eut le déclic pour se reprendre en main. Après une longue intersaison, il confia « avoir retrouvé goût au rugby » autant qu’il assurait avoir travaillé dur dans son coin et pris conscience que la vie ne pouvait pas être faite « que de soleil et d’arc-en-ciel ».
Un bel avenir en noir ?
Et autant dire que cela semble avoir payé. Revenu à un poids plus que décent (environ 110 kg selon le staff des Blues), plus en forme que jamais physiquement, le principal intéressé est certes moins clinquant que par le passé mais bien plus sûr et impliqué en défense. Il s’est depuis réinstallé en numéro 6 en club et prépare même le Tri Nations dans la bulle des All Blacks depuis quelques semaines. Martelant sur Instagram qu’il « sera prêt au moment où on lui donnera sa chance. »
Ian Foster d’abonder : « Il est parti dans son coin et a fait quelques changements. Nous avons vu à travers la campagne des Blues qu'il a laissé beaucoup de choses derrière lui et nous avons commencé à voir de bonnes réponses à nos attentes sur le terrain. Son rythme de travail a augmenté et il est devenu un joueur en bonne forme physique. Maintenant, le défi consiste à reproduire cela sur la scène internationale, où tout s'amplifie un peu. » Avant d’ajouter. « Il mérite beaucoup de crédit pour cela. Il est facile pour les joueurs de bouder et d'être mécontents lorsqu'ils n'obtiennent pas ce qu'ils veulent. Mais la seule chose qu'ils peuvent vraiment contrôler s'ils ne sont pas sélectionnés, c'est comment ils se préparent et se comportent… Et lui l'a parfaitement fait. » Titulaire pour la première fois de sa carrière samedi face aux Wallabies, Akira Ioane a là l’occasion de montrer son évolution au grand public, en guise de rédemption. Au milieu d’une troupe des Blacks plus impressionnante que jamais et aux côtés de son frangin lui aussi (re)lancé dans le grand bain, le contexte semble en tout cas parfait !
Un riz savant scie
Merci pour cet article bien écrit qui permet de comprendre que ces surhommes sont aussi des hommes avec leurs failles.