C’était il y a longtemps, entre les deux mandatures de Mitterrand, on venait juste de jouer la première coupe du monde de rugby. Les All-Blacks étaient champions du monde, les Français éternels finalistes. La finale du championnat de France allait donner lieu à l'un des pires matchs de tous les siècles passés et à venir : Agen-Tarbes une vraie purge ovale. On se souvient à peine que ce fut le dernier titre de l’équipe de cœur du légendaire et juste Albert Ferrasse.
Je me souviens de ce pilier très à l’ancienne, remarquable imitateur du cri du cochon. Je revois sa bouille ronde, ses sourcils bas et sa moustache noire de jais, son ventre rond, étonnamment dur, comme si tous ses abdos étaient taillés en arrondi. Une armoire normande, mais taille basse. Je me rappelle exactement où était sa place dans le vestiaire. C’était avant le match, nous étions peu nombreux assis sur les bancs, trois ou quatre, pas plus. Je l’ai vu sortir de son sac un verre en plastique, une bouteille de porto, un œuf et du sucre. Il a mélangé le tout en respectant un code de procédure, puis il a bu la mixture avec une mine gourmande et réjouie. Astérix, quand il boit la potion du druide Panoramix n’aurait pas eu l’air plus heureux ou plus en forme. Notre gaillard avait pris son doping naturel et alcoolisé.
J’ai su plus tard qu’il s’appelait Porto flip. Je ne suis pas vraiment persuadé de son efficacité dopante et énergisante, mais ça crée des légendes. Effet placebo assuré, le chouchou de ces dames était prêt à renverser tous les piliers qui se trouveraient face à lui. Plus adepte du tête contre tête que de l’espace qui se trouve juste à côté, le moustachu était sûr de pousser le cri du cochon victorieux à la fin de son match. Il faut savoir que ce pilier d’autrefois maîtrisait à la perfection tous les cris du cochon, celui en rut comme celui qu’on égorge. C’était son Pilou-Pilou ou sa Peña Baïona.
Un jour, son entraîneur, lors d’un match plus qu’engagé, lui ordonne du bord de la touche de faire cochon : c’était le nom d’une tactique en mêlée qui voulait que le pilier gauche lâche pour faire pivoter sa mêlée, un classique pour tout pilier digne de ce nom. "Chouchou fait cochon", criait l'entraîneur sur le bord du terrain. Alors Chouchou fit cochon, son cri du moins et la mêlée entière se releva morte de rire, le coach, un instant dépité, explosa lui aussi de rire. Chouchou venait par sa magie porcine de désamorcer un match qui aurait eu du mal à aller jusqu’à sa fin réglementaire, malgré tout le talent de l’arbitre, bien en peine de garder son sérieux devant la passion criarde et "cochonesque" du pilier maestro des porcheries.
Chouchou n’a plus jamais refait cochon sur le terrain, il s’est contenté de le jouer dans les bars des 3e mi-temps, où juste revêtu d’un slip, couché sur une table, il mimait avec force de cris et de gestes le cochon qu’on égorge, tout cela devant un patron de bar et quelques clients interloqués. Il parait même qu’une fois une ligue de protection des animaux, alertée par les cris du goret, avait appelé la police pour qu’elle intervienne. La maréchaussée locale a surtout ri et aurait redemandé un replay au bel canto porcinet… Mais tout ça n’est sûrement qu’une légende et appartient pour toujours au folklore de notre sport. J’espère que cela durera longtemps encore et que cette époque et ses réseaux sociaux nous laisserons notre espace de liberté, dans le respect des autres bien entendu. C’est tout ce que je souhaite…
Cette semaine, Pierre Navarron, ancien joueur de Bayonne, nous fait voyager dans le passé à l'époque des piliers à l'ancienne.
Pierre Navarron, 57 ans, travaille dans le consulting après avoir longuement exercé dans le domaine de l'assurance et de la gestion de patrimoine. Parallèlement à cette vie professionnelle, en 2005 il est devenu éducateur en cadet puis dirigeant à l'association Aviron Bayonnais. Il s'occupe plus particulièrement de l'équipe espoirs depuis 2014. Auparavant, presque dans une autre vie, il a été joueur, forcément dans son club de coeur, l'Aviron Bayonnais (1973-1987), puis à l'US Mouguerre (1987-1994) et au Boucau-Tarnos Stade (1994-1996).
"J'aime raconter le rugby, celui que j'ai connu, celui que j'imagine et celui que l'on voit.J'aime les histoires que ce ballon ovale nous donne avec ses rebonds de traviole, ses rires, ses chants et son folklore qui n'appartient qu'à lui et qu'on a tous dans le cœur.Je pourrai vous narrer les envolées de ces grands joueurs que j'ai croisé sur un terrain, comme toutes celles de tous ces anonymes, juste connu dans leurs villages, mais qui faisaient chanter la gonfle comme personne, je pourrai vous confier les débuts de ces rugbymen du top 14 d'aujourd'hui qui portaient déjà les espoirs, devenus nos certitudes contemporaines et qu'ils nous montrent, dorénavant, chaque week-end...Peut-être qu'un jour j'écrirai tout cela..."
etutabe
Bien rigolé !
Euh, Ferrasse " légendaire et juste", c'est de l'humour ? légendaire, c'est sûr ! pour l'autre...
oc
....juste parti , et parti pris .