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Des hommes et un ballon où quand le rugby c'était les copains avant les datas et les résultats
Le rugby, une histoire de copains avant tout.
Cette semaine, Pierre Navarron nous livre un texte qui sent bon le rugby d'avant. ''C'est pas de la nostalgie, c'est autre chose'', comme une autre discipline.

C'est pas de la nostalgie, c'est autre chose. C'est presque un autre sport, sans entraînement à haute intensité, sans data multiples qui compilent les stats collectives et individuelles des équipes et des joueurs. C'était une époque où l’on s'entraînait trois fois par semaine au grand max et s'il ne pleuvait pas trop. L'herbe était grasse dès octobre et boueuse de novembre à mars, giboulées comprises. Canal + balbutiait ses premiers pas au royaume des chaînes cryptées. Le rugby se conjuguait avec Couderc et Bala, toujours au Parc des Princes qui n'imaginait sûrement pas finir en jardin qatari. Les surnoms fleuraient bon le 1er degré, voire même le zéro ; en première ligne Jean-Michel était Mumu et Roland devenait Pipo, les Pierre, c'était juste La Grande ou Chipitey ; en troisième ligne Joseph répondait au doux nom de Ttotte et Patrick n'était que Tonton ; Stéphane était tout simplement Steph, on peut continuer longtemps encore, on trouvera du Mendioche à la mêlée, La boussole à l'arrière, lui qui transformait des relances en contre-attaque tout en laissant croire que l'inverse était pareille. On croisait La feuille ou Le cake au centre et tant d'autres encore...

C'était une époque où les skills étaient, au mieux, des aller-retour sur des terrains délabrés à faire des passes, des deux côtés, inlassablement, comme un pianiste avec ses gammes. Il n'existait que deux lancements en touche, et un et demi en mêlée où la seule règle était "on les défonce". Le reste dépendait de l'intelligence situationnelle du 8, mais tous n'avaient pas le sens du rugby d'un Cigagna, véritable gare de triage du jeu des années 80/90, le seul et véritable Matabiau Toulousain. Et puis il y a les milliers d'anecdotes, oubliées aujourd'hui, excepté pour tous ces inconnus qui les ont vécues et qui en ont gardé un souvenir grandiloquent, flirtant avec la légende qui s'écrit dans les livres et dont les mots ne meurent jamais. Ces repas d'après entraînement, où se retrouvent presque tous les joueurs, en milieu de semaine, pour continuer la nuit et la cohésion d'équipe. Tous les célibataires font des heures sup, quelques bières en centre-ville, des belotes coinchées au bout du comptoir. Des filles qui passent, des sourires qui s'échangent, la licorne légendaire esquisse la suite de ses aventures. La nuit conte ses aventures en sanskrit, certains y voient déjà leurs épopées picaresques sous l'angle d'un Kamasutra réinventé.

Et ce match, perdu dans une bourgade de Gascogne, dans un vestiaire minuscule partagé en deux par une porte en forme de soupente. Le plus facétieux joue au matador, l'autre, insaisissable, fait le taureau, sans Cabrel à la musique. Pourtant, on jurerait entendre la mélodie de sa Corrida. Le matador improvise passes et véroniques, domptant les charges du taureau hilare sous les vivats du reste de l'équipe réduit au rôle de spectateurs volontaires, oubliant de se changer à moins d'une heure du coup d'envoi du match. C'était un 1/4 de finale contre l'ogre narbonnais et les dingueries de ses spadassins les plus célèbres, de Ros à Dejean ou de Colomines à Martinez. Peu importe le résultat du match, il ne rentrera même pas dans les annales du petit bleu d'Agen. On se rappellera juste cet instant, cette tauromachie ovale dans un espace réduit, où les rires ont tout emporté, même la drôle de tête des entraîneurs devant ce tableau d'impression goyesque. Cordobes et son fidèle Miura sont rentrés, à jamais, dans la postérité de leurs admirateurs en culottes courtes et en crampons iconiques. Ils ont sûrement fait plus pour les si fameuses valeurs du rugby avec cet impromptu tauromachique, que mille passes croisées oubliées... Comme le disait Jean-Pierre Rives : "Le rugby, c'est l'histoire d'un ballon avec des copains autour et quand il n'y a plus le ballon, il reste les copains". C'est leur richesse et ça ne rentre pas dans les statistiques...

Pierre Navarron travaille dans le consulting après avoir longuement exercé dans le domaine de l'assurance et de la gestion de patrimoine. Parallèlement à cette vie professionnelle, en 2005 il est devenu éducateur en cadet puis dirigeant à l'association Aviron Bayonnais. Il s'occupe plus particulièrement de l'équipe espoirs depuis 2014. Auparavant, presque dans une autre vie, il a été joueur, forcément dans son club de coeur, l'Aviron Bayonnais (1973-1987), puis à l'US Mouguerre (1987-1994) et au Boucau-Tarnos Stade (1994-1996).

"J'aime raconter le rugby, celui que j'ai connu, celui que j'imagine et celui que l'on voit.J'aime les histoires que ce ballon ovale nous donne avec ses rebonds de traviole, ses rires, ses chants et son folklore qui n'appartient qu'à lui et qu'on a tous dans le cœur.Je pourrai vous narrer les envolées de ces grands joueurs que j'ai croisé sur un terrain, comme toutes celles de tous ces anonymes, juste connu dans leurs villages, mais qui faisaient chanter la gonfle comme personne, je pourrai vous confier les débuts de ces rugbymen du top 14 d'aujourd'hui qui portaient déjà les espoirs, devenus nos certitudes contemporaines et qu'ils nous montrent, dorénavant, chaque week-end...Peut-être qu'un jour j'écrirai tout cela..."

Merci à Pierre Navarron pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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Merci Pierre Navarron pour ce nouvel article, si bien écrit. Ces mots replongent les plus anciens dans leurs souvenirs et transmettent (un peu) aux plus jeunes – outre la narration d’une autre époque – la vision ou la perception que nous avions de la pratique et de la vie autour de la balle ovale !

Certes, les choses sont « incomparables » avec le rugby professionnel d’aujourd’hui. De nos jours, la recherche de la performance ultime – tant collective qu’individuelle, tant stratégique que mentale, tant technique que physique – le décryptage via l’œil du cyclone du moindre geste, du moindre choix, l’accessibilité des informations ou la compréhension des règles par un public plus élargi et plus urbain, sans oublier 30ans d’argent et de professionnalisme, ont modifié le jeu de Rugby et la vie qui va avec.

Dans le rugby de Pierre, il y a la partie « humaine, obscure et magique » qui nous allait bien et qui s’estompe aujourd’hui : l’erreur ou le mauvais geste qui n’avait été vu par personne, l’entraide hors les terrains, le plaisir de jouer le plus longtemps possible, etc…

Je partagerai une anecdote de ce rugby du siècle dernier pour conclure ce commentaire. Au menu du championnat du Languedoc, notre équipe héraultaise, composée de vieilles gloires et de jeunes étudiants – Il y avait Fouine, il y avait l’Indien, il y avait Ghys, il y avait Saucisse, il y avait l’Anguille – se déplaçait à Bram. On tournait pas mal à cette époque mais quel plaisir et quelle surprise de découvrir sur le terrain, l’identité du numéro 10 audois : Le fabuleux Claude Spanghero, ancien deuxième ligne international, les 50 berges bien tassées et des mains comme des pelles à gâteaux.

Nous n’arrivions pas à comprendre le pourquoi de ce choix de nos adversaires, lorsque fut donné le coup d’envoi. Nous avons pris une fessée et me souviens encore de la partie. La tactique des audois était simple : envoyer la balle à Claude, qui ne cherchait pas la course tranchante ou le coup de pied millimétré, mais qui était « implaquable » et mobilisait 3 à 4 défenseurs avec des raffuts ravageurs. Il lui suffisait ensuite de passer la gonfle, façon Offload, à l’un de ses coéquipiers qui se retrouvait devant un boulevard pour aller à dame. Je garderai pour moi la troisième mi-temps !

Encore une fois, merci Pierre pour ces lignes dans le Rugbynistère. Bien amicalement, Laurent dit « Maya ».

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