La vie de rugbyman professionnel ne tient qu'à un fil. Yassine Jarmouni et Valentin Insardi peuvent en témoigner. Tout deux membres d'une équipe de Pro D2 dans les années 2010, ils ont subi la situation financière de leurs clubs et le dépôt de bilan qui a suivi. Le premier à Narbonne, le second à Bourgoin, mais également à Strasbourg en cette année 2019 ! Du jour au lendemain, ils ont tout perdu.
Rugby Amateur : le RC Strasbourg (Fédérale 2) placé en liquidation judiciaireYassine était très attaché à Narbonne. Ville de son enfance. Après avoir commencé le rugby à Rives-d'Hérault, il a en effet rejoint la structure audoise jusqu'à ses seize ans, avant d'effectuer un détour par Montpellier, en cadets, puis revenir dans son club de cœur. « À Montpellier, on m'avait mis pilier et je n'aimais pas ça », explique-t-il. À Narbonne, tout s'est alors accéléré. Une première sélection avec les -20 ans tricolores et des matchs en seniors qui s'enchaînent, même s'ils furent stoppés à un moment donné par une blessure aux ligaments croisés. Au total, Yassine dispute 21 rencontres en Pro D2. Son contrat professionnel avec Narbonne courait jusqu'en 2021, mais la liquidation judiciaire de la SASP a bouleversé ses plans.
Il y avait des rumeurs qui couraient depuis plusieurs mois et ce que l'on craignait est arrivé. On a reçu un courrier chez nous, sans convocation, nous informant tout simplement que l'entreprise était liquidée financièrement et que de ce fait nous étions licenciés.
Valentin de son côté a débuté le rugby à Voiron où il a joué pendant huit ans avant de rejoindre Bourgoin en cadets. Tout est allé également très vite pour lui puisqu'il a intégré l'effectif professionnel en 2011 à seulement 18 ans et a disputé ses premiers matchs avec le CSBJ en Pro D2. Au total, il a foulé 34 fois la pelouse sous les couleurs ciels et grenat et a vécu les deux dépôts de bilan du club (2012 et 2017). Sa blessure étant venu s'entremêler, la carrière de Valentin a basculé et il s'est retrouvé sans club.
Juste avant le deuxième dépôt de bilan, les entraîneurs ont changé et les nouveaux ne voulaient pas me conserver l'année suivante. Me racontant que j'avais tout pour jouer, mais que je n'avais pas le niveau pour évoluer en Pro D2. Un discours un peu paradoxal.
Une décision surprise
Quand on écoute ces deux témoignages, on se rend compte que la méthode est souvent la même. Et c'est ce que reproche Yassine et Valentin aux dirigeants qu'ils ont connu. Ces derniers leur ont caché la situation financière du club : « On a aucun regard sur les comptes ! Nous ne sommes que des pions ! C'est vraiment décourageant quand tu essayes de faire le boulot sur le terrain, mais que derrière ça ne suit pas », exulte Valentin.
Ils annoncent toujours la nouvelle au dernier moment. Ils racontent que les problèmes vont être réglés ou qu'il n'y en a pas. À Bourgoin, on a su la situation uniquement quand il y a eu la décision de la DNACG (au mois de juin), on était au courant de rien avant. À Strasbourg, ils ont commencé à parler de certains problèmes en janvier. En expliquant que ce n'était rien et que ça allait s'arranger. Et puis au fur et à mesure, il y a eu des retards de paiement sur certains salaires. Dans notre tête, on avait encore de l'espoir, mais au bout d'un moment, tu n'as qu'une envie, c'est que le club dépose le bilan pour passer à autre chose. Le problème, c'est que tu ne peux rien faire à part attendre. Tu sais que la situation ne va pas bien, que tu ne vas pas être payé, mais tu es engagé avec le club ! Donc tu es bloqué.
À Strasbourg, les dirigeants savaient depuis le début de la saison qu'on ne pourrait pas faire les phases finales. Et ça, les joueurs n'étaient pas au courant ! Ils l'ont su uniquement quand ça a commencé à parler de dépôt de bilan vers novembre. Un administrateur nous l'a annoncé alors que le club nous parlait de pouvoir remonter immédiatement en Fédérale 1 !
Yassine a également vécu cette situation de plein fouet. Alors que lui et ses coéquipiers préparaient la reprise de la saison, ils ont appris la terrible nouvelle. Un moment cruel, dans une période où les clubs de Top 14 et Pro D2 avaient déjà fini leur recrutement. « Nous ne pouvions signer qu'en joueur supplémentaire ou en joker médical. Mais le plus dangereux, c'était que du jour au lendemain, on pouvait se retrouver sans revenus », précise Yassine. Il a donc fait le choix de partir :
Les dirigeants du club savaient qu'il allait y avoir un dépôt de bilan, mais ils ne nous ont jamais prévenus. En fait, ils espéraient que certains joueurs partent avant pour ne pas avoir à les indemniser. Pour ma part, je me suis retrouvé du jour au lendemain sans rien et je n'avais plus du tout envie de rester à Narbonne. J'ai donc commencé à chercher autre chose.
Un sentiment de solitude
Si Provale cherche aujourd'hui à aider ces joueurs qui ne sont plus licenciés et qui ont été victimes de la professionnalisation du rugby et de ses défauts, les actions de l'instance restent néanmoins beaucoup trop insuffisantes pour Valentin :
Je sais qu'ils font ce qu'ils peuvent, mais souvent, ils viennent trop tard pour t'aider à récupérer l'argent de ton contrat. Et toi pendant ce temps-là, tu dois repartir de zéro ! Donc au final, dans tes décisions, tu es tout seul.
Résultat, ces joueurs se débrouillent par eux-mêmes, ce qui les amène dans de nouvelles situations complexes. Comme Valentin qui a signé à Mâcon, mais qui s'est blessé aux ligaments croisés. Le club n'a pas voulu le payer et il a dû partir pour finalement se retrouver en Fédérale 2B du côté de Villefranche-sur-Saône à son retour de blessure. Jusqu'à sa mésaventure avec Strasbourg.
Yassine, lui, a voulu à tout prix éviter la Fédérale 2. Il ne se voyait pas descendre du jour au lendemain de deux divisions. Par miracle, il a réussi à obtenir un accord avec Castanet pour évoluer en Fédérale 1. Mais là encore, il a dû prendre cette décision seul et ça ne lui a pas souri :
Je ne connaissais pas trop le monde amateur et je me suis fait un peu avoir. Je n'ai pas trop fait attention dans la mesure où je voulais absolument quelque chose pour me relancer. Sauf qu'en janvier, ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas me donner ce que l'on avait convenu. Je n'avais pas trop de pouvoir pour dire quoique ce soit et à ce moment-là, je suis retombé dans une précarité assez conséquente. Alors que la saison de rugby se passait bien ! J'avais disputé 9 matchs et on était cinquièmes. Finalement, j'ai calculé, et j'ai remarqué que si je quittais le club maintenant, j'allais mieux m'en sortir financièrement. J'avais prévu tout mon plan de vie par rapport à la somme de départ, donc ça a tout chamboulé. J'ai finalement décidé de quitter le club et je me suis retrouvé à faire du rugby à XIII pour finir la saison. Je suis allé avec les Broncos de Palo. L'accord, c'était qu'il y avait deux matchs clés et que si on les gagnait, ils me prolongeaient un mois de plus. Sauf qu'on ne les a pas gagnés.
Un retour en arrière toujours possible ?
Un retour dans le monde professionnel, Yassine y croit encore aujourd'hui, malgré la situation dans laquelle il est. « Je viens tout juste de retrouver un club puisque je me suis engagé à Valence d'Agen. Mais j'espère pouvoir retrouver la Pro D2 un jour. Je ne sais pas pourquoi, mais je continue d'espérer. »
D'autant que le jeune joueur (24 ans seulement) ne possède pas de diplômes forcément reconnus aujourd'hui, dans la mesure où il a évolué très tôt avec l'effectif professionnel et n'a pas pu concilier les deux. « J'ai passé un CQP moniteur de rugby et j'ai le BAC, mais au final, c'est peu... » se rend-il à l'évidence. Aujourd'hui, il ne se voit pas reprendre une formation.
Les études, c'est en revanche ce qui a sauvé Valentin :
Certains joueurs qui ont vécu cette situation ont retrouvé un club en Pro D2 ou en Fédérale 1. Moi, j'ai préféré faire le choix de mes études. Car ça me plaît. Le monde du rugby professionnel est très particulier. On parle souvent de famille, mais au final, tu es du bétail. Aujourd'hui, je n'en veux plus.
Valentin aurait d'ailleurs pu retrouver un club en Fédérale 1 ou en Fédérale 2 pour l'année prochaine. Comme Yassine, il a été en contact avec plusieurs équipes. Mais désormais, il préfère terminer ses études de psychologie à Strasbourg, et de ce fait, arrêter le rugby à XV. Un jeu qui l'énerve de plus en plus : « Je ne regarde même pas les matchs. Quand tu es trois-quarts, ça devient de plus en plus compliqué. En tant qu'ailier, il y a certains matchs où tu ne touches pas un ballon ».
Heureusement pour eux, ces deux joueurs peuvent aujourd'hui continuer à prendre du plaisir dans le rugby grâce au sevens. Yassine évolue régulièrement avec les Scavengers ou Esprit Sud Sevens, tandis que Valentin alterne lui entre les Seventise et les 7 Fantastics. Un moyen de se libérer pour éviter de penser à tous les soucis que leur a causés ce nouveau monde, parfois cruel, du rugby à XV...
Stado 1973
Le professionnalisme doit son salut à qqs sponsors de poids, de mécènes où le rugby s achète trop facilement où on privilégie le spectacle à travers tous ces étrangers qui foisonnent sur notre sol au détriment des joueurs du terroir de talent laissés sur la touche !!! Pour rester cohérent dans mes propos, les capitaines des 2 finalistes sont bien des Néo Zélandais !!!!!!!!! Le rugby français perd de sa crédibilité et de sa notoriété, pour aller droit dans le mur, où l argent fait encore le bonheur de certains clubs du rugby Pro ?????
coupdecasque
Les deux capitaines étaient Samoans pas NZ.
Ensuite si les clubs achètent des étrangers c'est parce que former des jeunes n'est plus aussi favorisé et favorable qu'auparavant.
Enfin Toulouse et Clermont sont justement les deux clubs qui contredisent ton argumentaire en favorisant et intégrant de nombreux jeunes dans leur équipe.
Aujourd'hui une équipe de rugby c'est plus de 23 joueurs, en ne voyant que les titulaires tu favorises l'image que tu dénonces.
coupdecasque
2019, je découvre que le rugby professionnel est à l'image du monde...professionnel, donc à l'image de l'économie ultra-libérale.
Triste pour ces jeunes qui subissent le système éducatif français qui ne donne la priorité qu'à une vision étriquée et passéiste les forçant à choisir entre études et sport de haut niveau.
Mais qu'est-ce qu'on est con de continuer avec ce système alors que les anglo-saxon se retrouvent par milliers chaque année devant le Varsity Match.
Grand Sachem aux sages commentaires
"[ils] ont été victimes de la professionnalisation du rugby et de ses défauts" certes mais si on leur avait proposé un gros contrat, un contrat de sponsoring, un contrat d'image et une bagnole gratos, ils n'auraient rien eu contre la professionnalisation du rugby et ses défauts.
Franchement, je ne vois pas la solution. Le sport pro, c'est du court terme, de tous les côtés. Un club peut couler financièrement du jour au lendemain si un gros sponsor se barre, un joueur peut tout perdre sur une blessure, sur une mauvaise prestation, sur un mauvais choix de club etc.
coupdecasque
La solution c'est l'éducation avec un meilleur système éducatif qui met en avant le sport et l'art au lieu de les reléguer à des options.
Grand Sachem aux sages commentaires
Et ça empêchera des rugbymen de se trouver dans la merde si leur club fait faillite ?
coupdecasque
Oui car quand tu es dans le système anglo-saxon tu as une double vie d'homme et de rugbyman, le fait de valoriser des études même courtes permet aux joueurs de pouvoir d'une part avoir un métier en même temps qu'ils sont rubyman et de façon général à ne pas les faire choisir entre étude et rugby.
Quand tu fais croire et valorise le faut d'être simplement joueur de rugby mais en favorisant les études très courtes comem les BTS ou autre tu encourages les jeunes à se voir uniquement comme des rugbymens.
Yonolan
Et avec la course à l'armement qui descend de plus en plus dans le monde dit amateur, ça ne devrait pas s'arranger
Il y a surement des solutions pour qu'un joueur puisse choisir son club en toute connaissance des risques y compris financiers
breiz93
Aucune structure de représentation des joueurs et du personnel au sein des clubs?.
Dans une société "standard" les IRP (Instance Représentative du Personnel ) arrivent, quelquefois, à anticiper, amortir et préparer la chute.
Babalonis
Bonne question. Mais souvent, dans des structures de cette taille, c'est difficile de trouver quelqu'un pour y siéger et d'y faire le boulot.
batelier
Robin de provable veille.....
Rchyères
Edifiant ......