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La technique individuelle : un pari ou une erreur stratégique ?
C'est entre les catégories U8 et U14 que le travail doit être fait.
Lionel Girardi de Rugby Pro Training tente d'expliquer d'où vient le réel problème de la formation technique et pourquoi il n’a pas été résolu.

Pour continuer l’étude systémique du rugby français, il me paraît important d’aborder la technique individuelle qui est au cœur des débats actuels lorsqu’on parle de l’équipe de France et de la formation du joueur. Tout d’abord, il est difficile de parler uniquement de technique individuelle sans la caractériser par un facteur important : la vitesse d’exécution. Celle-ci a considérablement augmenté avec le rugby moderne, les joueurs doivent être capables de réaliser les gestes techniques de plus en plus vite en ayant des vitesses de courses maximales. On a tous un exemple en tête d’un joueur très bon à l’entraînement sur des exercices avec des conditions faciles d’exécution et puis dès qu’il est en match sa prestation devient bien plus faible. Il est vrai aussi mais ce n’est pas l’objet de ce document que les conditions du match (pression mentale) et la pression adverse sont des éléments importants qui peuvent influencer sur la vitesse et la qualité des réalisations techniques.

  • Données théoriques du développement de l’enfant :

Même si l’empirisme a tendance à être dominant dans la théorisation de l’entraînement sportif, il y a des études scientifiques qui ont été réalisées et certaines ont valeur de « principes» pour la mise en place des contenus de l’entraînement sportif. Ci-dessous un tableau simple et synthétique des stades de développement des garçons liés à l’apprentissage de la technique (données issues du Manuel d’entraînement, Jürgen Weineck, édition Vigot, 1999) :S’il y a un principe à retenir lors des stades de développement c’est de prioriser le travail de la technique lorsque la croissance de l’enfant est relativement faible. Lors du stade 14-16 ans à forte croissance corporelle, il arrive fréquemment que le jeune ait des phases momentanées de régression technique car il doit s’habituer et « restructurer » tous ses acquis avec son « nouveau corps ». C’est pour cela qu’avant ce stade, entre 8 et 13 ans on parle « d’âge d’or » des acquisitions techniques d’une discipline sportive. Autrement dit la meilleure période pour apprendre la technique individuelle en vu d’une expertise de très haut niveau lorsque l’enfant deviendra adulte se situe entre 8 et 13 ans. Comme expliqué dans le tableau, cela ne veut pas dire qu’il est impossible d’apprendre des gestes techniques après 13 ans, mais leur ancrage au sein de l’enfant est plus difficile et il ne permet pas d’affirmer qu’il pourra développer ces habiletés au plus haut niveau.

  • De la théorie à la pratique :

Sur la période 8 à 13 ans, il est très important de proposer aux enfants un taux élevé d’apprentissage des gestes techniques afin qu’il puisse se les approprier. Mais pas que cela, il est aussi nécessaire d’avoir un taux de répétition élevée par geste technique afin de les automatiser. Après l’apprentissage et l’automatisation des gestes techniques, l’enfant pourra continuer à les renforcer de 14 à 20 ans avec toujours un taux de répétition élevé en ayant aussi la possibilité de créer, tout en prenant en compte la phase 14-16ans moins propice à un apprentissage optimal. Ce renforcement va suivre une certaine linéarité entre la vitesse d’exécution et la vitesse de jeu. En effet, au fil des catégories jeunes, le jeu devient plus rapide et plus intense dû au développement physique des joueurs ce qui va induire automatiquement une augmentation de la vitesse d’exécution des gestes techniques. Durant cette période, les joueurs qui auront les meilleures bases techniques avec cette capacité à les réaliser à vitesse d’exécution élevée seront en mesure de pouvoir créer des gestes techniques répondant à des contraintes rencontrées en match.

  • Les Ecoles de Rugby des clubs amateurs :

Aujourd’hui, il est clair pour la majorité des acteurs de notre sport que les enfants qui sortent de nos Ecoles de Rugby ont des carences techniques. Cependant ce phénomène n’est pas récent, difficile de le dater chacun aura son opinion, mais ce qui est clair c’est que depuis l’avènement du rugby professionnel fin des années 90, peu à peu ces carences ont émergé et d’autant plus vite que la vitesse de jeu du rugby moderne a augmenté. Plusieurs raisons sont évoquées sans les développer dans ce document, entre autres, on peut citer un renouvellement important des éducateurs (3 ans), une formation fédérale inadaptée ou encore un investissement financier quasi-exclusif sur l’équipe première au détriment de la formation du joueur.

Par conséquent, au niveau de la base de la pyramide du rugby français, la phase de l’âge d’or de la technique est un échec pour la formation du joueur de Haut Niveau. Pour les milliers d’éducateurs bénévoles cela ne fait pas plaisir à entendre mais pourtant il faut se rendre à l’évidence un gamin qui sort de nos Ecoles de Rugby n’a pas les bases nécessaires pour espérer exister à très Haut Niveau à la fin de son cursus de formation. Alors je vais utiliser le « nous » car je fais parti de cet échec. Nous les éducateurs bénévoles ne faisons pas comme beaucoup d’acteurs (professionnels) de notre sport à savoir trouver la faute chez les autres, laissons les penser qu’ils sont les rois de l’entraînement et de la formation, soyons humble et remettons nous en question pour apporter les bagages techniques nécessaires à nos gamins leur permettant d’avoir une chance d’être compétitif à très Haut Niveau !

  • La priorité de la DTN sur la détection et formation des jeunes joueurs à haut potentiel depuis 15ans :

Depuis le début des années 2000, tout un processus de détection, sélection et suivi des jeunes joueurs a été mis en place. L’objet dans ce document n’est pas de les détailler mais simplement de faire le constat que depuis 15 ans, beaucoup de moyens de la FFR via la DTN ont été orienté vers le suivi et le développement du jeune joueur à haut potentiel afin de former les futurs joueurs de l’équipe de France. Outre les sélections (ou rassemblements) départementales et régionales qui permettent de suivre les hauts potentiels des U13 jusqu’au U18, la grande évolution du système fédéral a été la mise en place de 10 pôles espoirs et d’un pôle France. Les pôles espoirs regroupant les hauts potentiels régionaux à partir de 15 ans (lycée) et le pôle France regroupant les hauts potentiels nationaux (U20). Autrement dit, le système fédéral a mis en place tout un plan d’action qui consiste à développer les facteurs de la performance du jeune joueur à haut potentiel tout en suivant le cursus scolaire. Parmi les facteurs de la performance on retrouve bien évidemment la technique individuelle. C’est donc à ce niveau que le titre de ce document prend toute son importance, à savoir prendre en main les jeunes joueurs à partir de 1 5ans dans la phase de vitesse d’exécution de la technique individuelle, est-ce un pari ou une erreur de la DTN ?

Lorsqu’on sait que sortis des Ecoles de Rugby nos jeunes ont des carences de techniques individuelles, mettre un plan d’action à haute compétence (structures et entraîneurs) à partir de l’âge de 15 ans représente une prise de risque non-négligeable, à savoir compenser les carences techniques après l’âge d’or des apprentissages techniques en vu d’être compétitif à très Haut Niveau.

  • Le développement de la formation du joueur dans les clubs professionnels :

Côté clubs professionnels, on peut quasiment faire le même constat que le système fédéral, avec la mise en place des centres de formation qui sont nés au même moment. Ces centres de formation sont destinés à des jeunes de 18 ans et plus, alors les clubs professionnels ont monté des structures pour accueillir les jeunes dès leur entrée au lycée comme les pôles espoirs. Quelles que soient les structures, le but est le même que le système fédéral : développer les facteurs de la performance du jeune joueur à haut potentiel tout en suivant le cursus scolaire.

On peut donc aussi se poser la même interrogation : est-ce un pari ou une erreur des clubs professionnels de compenser les carences techniques après l’âge d’or des apprentissages techniques en vu d’être compétitif à Haut Niveau.

D’ailleurs, système fédéral et système club professionnel sont tellement similaires (pour ne pas dire redondant et inutile pour l’un des deux) sur le développement du jeune joueur à haut potentiel, que la nouvelle équipe dirigeante menée par Bernard Laporte a décidé dès cette saison de supprimer le pôle France et a promis de supprimer les pôles espoirs. Cependant par rapport au problème de la formation technique du jeune joueur cela ne résout en rien la problématique entre l’ancrage de la technique individuelle et l’âge de recrutement par les « professionnels » de notre sport.

  • La détection précoce dans les clubs professionnels : LA SOLUTION ?

Il est vrai que depuis quelques années, on assiste à un recrutement un peu plus précoce au sein des clubs professionnels soit un an plus tôt sur la 2ème année minime. Déjà antérieurement, en changeant les catégories passant de l’impair au pair, tout a été décalé un an plus tôt, un cadet 1ère année qui avant entrait au lycée aujourd’hui se retrouve encore au collège en 3ème. Ce phénomène a automatiquement engendré les relations entre les collèges et les clubs professionnels pour permettre de continuer à les recruter. Maintenant que « la brèche » est ouverte, il est plus facile de lancer le processus de recrutement plus tôt.

Un autre élément important vient s’ajouter et il est récent datant de cette saison, c’est la mise en place du Super Challenge Minime réservé aux clubs professionnels qui vient valider ce phénomène de détection plus précoce puisque les clubs professionnels pour exister dans cette compétition doivent « s’armer » comme les catégories supérieures. La mise en place de ce Super Challenge est donc une validation fédérale sur un recrutement plus précoce. La seule logique de celui-ci qu’on peut tirer de cette volonté commune clubs professionnels/FFR est de vouloir répondre à ce défaut de formation technique du jeune joueur à savoir si les clubs amateurs ne forment pas correctement les enfants autant le faire à leur place !

Cependant compenser 1 ou 3 ans entre 8 et 13 ans est-ce réellement suffisant ? Autrement dit est-ce réellement la solution pour résoudre notre problème de formation française ? Pas si sûr et si c’est un choix mixte clubs professionnels/FFR on va en prendre pour 10 ans de plus… Sans compter que l’effet boomerang d’un tel système est de recruter n’importe quel gamin qui aura un morphotype intéressant ou qui aura des qualités de vitesse intéressantes. Sur un territoire, cela signifie que tous les gamins U14 « hauts potentiels » vont se retrouver dans le club professionnel laissant tous les clubs amateurs du territoire sans un seul potentiel dans leur équipe. La première conséquence sera d’abaisser le niveau des gamins dans les clubs amateurs ! En effet, le ou les potentiels dans une équipe de club amateur sont le repère des autres joueurs, ils les tirent vers le haut, si demain ils sont tous dans les clubs professionnels, cela sera les joueurs « moyens » qui deviendront les repères et donc le niveau va baisser entraînant logiquement aussi une baisse du niveau des tournois ! Comme le repère principal des présidents, des éducateurs (ou autres) reste la victoire et pour gagner plus besoin de produire un jeu très technique et très intense ! Alors on se félicitera et on se contentera de cela sans s’apercevoir qu’on est en train d’appauvrir la base du rugby français !

Encore si c’était que cela à savoir qu’on soit sûr que les « hauts potentiels » seront vraiment les joueurs de très haut niveau de demain cela pourrait être un choix « cohérent » Clubs pro/FFR d’opter pour cette option mais comme le rugby est un sport à maturité tardive, il n’y a aucun principe scientifique ou empirique qui puisse en donner la certitude. Ce qui veut dire qu’un groupe de 35 joueurs U14 dans un club professionnel peut très bien dès la saison suivante en cadet Gauderman (cadet 1ère année) être réduit fortement! Chaque joueur qui ne sera pas retenu pour la saison suivante sera remplacé par un autre joueur issu du rugby amateur. Joueur qui en une saison se sera révélé mais sera moins bien formé dû à l’appauvrissement des niveaux des clubs amateurs. Plus la détection est précoce plus le risque d’échec est important ce qui est évident pour tout le monde, sur un groupe de 35 joueurs U14, il peut très bien en rester que 5 en U18 (crabos) soit 30 joueurs qui seront recrutés avec une formation plus insuffisante qu’aujourd’hui !

Sur un groupe U14 de 30 joueurs dans un club amateur, il y a en moyenne 2 à 3 joueurs « hauts potentiels » ce qui correspond à 5 à 10% des effectifs. Par conséquent, prendre la voie de la détection précoce avec le Super Challenge U14, c’est basé toute une politique sportive sur l’hypothèse de trouver et former efficacement les futurs joueurs de très haut niveau dans 10% de la base du rugby français. Pour en terminer sur cette petite parenthèse, je vous dirai : est-ce un pari ou une erreur stratégique clubs pro/FFR de vouloir miser sur 10% de nos effectifs ?

Pour ma part la réponse est claire on va en prendre pour 10 ans de disette de plus !

  • L’orientation de toutes les forces rugbystiques vers la base : la stratégie !

Le rugby français à une culture club avec une base très importante au niveau des effectifs qui porte la France souvent dans les premiers mondiaux. Depuis 20 ans on a pensé qu’il suffisait de s’occuper « professionnellement » de nos jeunes à partir de 14 ans pour être compétitif on en voit le désastre. Maintenant il y a un choix dont l’hypothèse est de penser qu’en s’occupant « professionnellement » de 10% de la base à partir de 13, 12 (ou… 11 ans ?), on va résoudre le problème du Haut Niveau. Bref au lieu de tourner autour du pot il faudrait plutôt y mettre tous les moyens dessus !

Voici le challenge que doit relever la nouvelle équipe fédérale menée par Bernard Laporte :

Le ciblage des catégories U8 à U14 notamment avec les CTC (cadres techniques de club), la refonte de la formation fédérale des éducateurs sur des contenus directement exploitables sur le terrain, une sensibilisation des Présidents des clubs amateurs pour orienter les objectifs sportifs des clubs vers la formation.

Merci à Rugby Pro Training pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • spir
    17561 points
  • il y a 6 ans

[Je réponds là à un passage du long commentaire de MARCFANXY ci-dessous, mais comme mon commentaire est lui-même long et comporte plusieurs points, je le mets à part.]

"La vérité se situe peut-être à mi-chemin ou plutôt en s'engageant dans une 3ème voie qui reprendrait les bonnes balises des 2 autres, pas nécessairement en "Sur-technicisant" ou en "Sur-Rugbyticisant" l'EDR (Par ex en introduisant Touche et Mélée en EDR, gestes Techniques s'il en est, n'a t-on pas avec le tps consacré à cela pénalisé le développement moteur général de l'enfant ?) !
Je pense qu'il convient prioritairement (à + forte raison à "l'age d'or" !) de remettre le Jeu (au sens littéral du terme !) au centre de tout et, par ce biais de rechercher perpétuellement à ce que l'enfant s'approprie complètement son corps, qu'il soit sans cesse en découverte d'expériences du champs incommensurable de possibilités que son corps lui offre....En résumé, augmenter les potentialités de tous pour avoir une base suffisamment solide avant d'expérimenter la stricte technique rugbystique approfondie, avant ensuite de jauger qui est "potentiel", qui ne l'est pas...."

Je pense que ça, c'est un des vrais fondements du problème, ou plutôt des problèmes qu'on observe tels que perte de :
* technique et surtout habileté corporelle en général
* intelligence du corps, càd à la fois *choisir* le geste juste en situation dans l'instant et aussi le réaliser de façon juste
* intelligence en mouvement dans l'espace *et* le temps, et donc sens du jeu collectif
Tout ça contribuait au french flair (tm), qui n'était pas qu'un mythe et contribuait à nous différencier des anglo-saxons.

Je crois les raisons (car il y en bien) sont aussi à chercher dans l'évolution de notre mode de vie et de nos idéologies et mentalité, donc elles ne sont pas toutes propres au rugby, au contraire ; parmi elles :
* Education familiale scolaire, etc., de plus en plus oppressive et répressive : les enfants en deviennent de plus en plus anormalent incapables et malcapables, dans le corps et l'espace-temps et le collectif, mais pas que (aussi intelligence affective, morale, mentale, relationnelle, sociale...).
* Mythe de la spécialisation :
* Obsession du contrôle total : ça tue la motivation et donc l'implication et le progrès : laisser le maximum d'autonomie, d'nitiative, de choix, de créativité aux gosses (aux apprenant, aux acteurs) sur les activités, leurs contenus, leurs méthodes ; inventer avec eux des jeux et défis qui les motivent ; privilégier la coopération sur la compétitionet surtout le jugement (la mort morale).
Selon moi, ce qu'on réinvestit dans le rugby c'est toute une somme de capacités physiques et spatio-temporelles, mais aussi mentales et morales et collectives, acquises naturellement au cours de sa vie ; du moins si nous laisse un peu vivre... imaginez dans un groupe neuf de 15 gamins, au rugby ou ailleurs, on peut en voir 3-4-5 dont on sait presque tout de suite qu'il n'arriveront à quasiment rien, et 3-4-5 autres qui d'évidence vont progesser vite, bien et surtout longtemps ; et chez qui on parlerait parfois de talent. Mais en fait ces derniers réinvestissent juste leurs apprentissages de toute une vie ; et ils sont juste "normaux", ou même moins bons qu'une moyenne de gamins dans une culture encore un peu libre.
Si le "globalou" semble échouer, c'est qu'ils requière un minimum de facultés de base, et je parle pas que de physique mais aussi de capacités morales à s'investir, coopérer, s'enthousiamer, proposer, choisir...

Il me semble que les raisons propres au rugby lui-même en France sont bien identifiées et détaillées dans l'article et ailleurs : partout où nous avons fait ou dû faire des choix ou que des choix se sont imposés (*), depuis au moins l'ère pro et surtout depuis les années 2000 (tiens tiens, arrivée de BL aux commandes), on a décidé à l'envers aussi bien au niveau pro et EdF que dans la formation et le monde amateur en général. Mais c'est vrai dans mille domaines autres que le rugby, non ? 😉

(*) par exemple tous ce qui suit du contrôle privé des clubs et du pouvoir du fric

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