Dans un continent passionné de rugby, le Catalan Franck Boivert a eu un impact décisif sur les relations entre la France, l’archipel des îles Fidji et sa passion première, le rugby. En 30 ans, l’ancien sélectionneur de l’équipe nationale féminine des États-Unis a révélé de nombreux talents, dont certains font partie des plus grands noms du Top 14. En 1988, il participe à la préparation des Fidji pour une tournée européenne. Il renforce leurs acquis sur la mêlée et gagne tous les matchs, à l’exception d’une rencontre au pays de Galles. Par ailleurs, lors de ce passage, il verra jouer en stage l’iconique Waisale Serevi, qui ne lui fera pas une forte première impression, la faute à une soirée trop arrosée la veille. Comme quoi, la première impression n'est pas toujours d'une grande fiabilité.
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Les Fidji et la France, un cocktail qui marche
Sept printemps plus tard, sa femme obtient un poste à l’Université du Pacifique Sud (USP) de Suva, capitale des Fidji, lui permettant de revenir plus souvent dans l’archipel. Dans cet établissement prestigieux, Franck Boivert a une belle opportunité. « C’était au moment où Chirac avait fait péter des bombes nucléaires dans le Pacifique. Pour redorer son image dans la région, la France donnait plein d’argent, en pagaille. On me demande alors s’il y avait quelque chose que je voulais faire avec le rugby à USP et j'ai mis en place un programme d'entraînement. » Avec un « budget phénoménal », il met en place une méthode qu’il expérimente en parallèle à l’université de Stanford. De plus, il organise des tournées internationales, aux Samoa, à Tahiti, etc.
Dans certaines de ses aventures, il parvient même à faire venir le XV de France dans le Pacifique, sans que la FFR ait quoi que ce soit à payer. Lors d’un match entre les Fidjiens et les Bleus, à Suva, le Stade National était « plein à craquer, il y avait des spectateurs au bord de la ligne de touche. » Avec 28 000 spectateurs dans un stade de 15 000 places, cette rencontre du 27 juin 1998 reste celle avec la meilleure affluence de l’histoire du pays. « Les Bleus venaient de faire le Grand Chelem. Aux Fidji, ils étaient de loin l’équipe la plus populaire après la sélection nationale. C’était l’époque du French Flair, les Fidjiens raffolaient de ça », précise l’entraîneur.
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En 2003, l’héritage de son travail dans le rugby universitaire a laissé des traces et il obtient le poste de Directeur Technique National (DTN) dans l’archipel. À ce moment-là, il se dédie uniquement au rugby aux Fidji. En l’espace de 2 ans, Franck Boivert forme pas moins de 600 entraîneurs dans le pays. Une formation où il distille des éléments de jeu venus de l’Hexagone. « Auparavant, j’ai fait des stages avec Pierre Villepreux à Toulouse, donc j’étais nourri de cette philosophie, l’attaque à outrance. » Pour améliorer la sélection, il met également en place des détections et des franchises. Effet immédiat, le vivier de joueurs explose, alors qu’il dispose de seulement 7 000 euros.
Épaté par cette réussite, l’IRB (ancêtre de World Rugby), lui offre 500 000 dollars fidjiens pour continuer le développement du pays. Cependant, tout ne se passera pas comme prévu. « Je n’ai rien vu de cet argent, car la fédération fidjienne l’a utilisé pour payer le nouveau sélectionneur de l’époque, Wayne Pivac. À la fin de l’année (2004), l’IRB est venu et j’ai dû leur dire. La fédération ne m'a pas conservé. » Après cette histoire, Franck Boivert reste malgré tout dans l’archipel et retient une leçon, ses prochaines subventions seront conservées par ses soins, à l’ambassade de France.
Les génies fidjiens, du Pacifique au Top 14
Trois années après, les Fidji brillent à la Coupe du monde 2007 et se qualifient en quart de finale. « La fédération des Fidji a gardé mon programme d’entraînement après mon départ. Dans le Pacifique, tout le monde me disait que c’était grâce à cela que les Fidji avaient atteint leur niveau exceptionnel. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ma foi, si les gens le disent », se remémore Franck Boivert.
Quelque temps après, il entraîne l’équipe des moins de 20 ans, puis l’équipe senior, de Nadroga, une des provinces du pays. Sur sa première saison, l’équipe est invaincue et devient championne. Sur cette aventure, des joueurs comme Peceli Yato (163 matchs avec l’ASM Clermont), Peni Ravai (94 matchs avec l’UBB, Aurillac et Clermont) ou Alivereti Raka (naturalisé et international français comptant 5 sélections) vont être formés par Franck Boivert. Plusieurs de ses anciens joueurs fleurissent aujourd’hui au niveau international.
Si le Catalan, ancien joueur de l’USAP, faisait des miracles pareils, c’est parce qu’il exploitait au maximum les qualités de passes ou de jeu après-contact des Fidjiens. « Sans des bons joueurs, il n’y a pas de bons entraîneurs », argue-t-il. Pour perfectionner le jeu de ses joueurs, il confie s’être largement inspiré de l’identité de jeu à la toulousaine et de la manière dont était formée l’élite du rugby toulousain. « Je voulais que l’on joue constamment. À l’entraînement, j’avais même interdit les rucks, les joueurs étaient obligés de passer le ballon avant d’arriver au sol. »
Au début de la décennie 2010, il redevient Directeur Technique National (DTN) pour transmettre ses principes de jeu et révéler quelques pépites comme Levani Botia. Malheureusement, après deux années de travail, il se fera de nouveau remercier par la fédération, en 2013. Pour cause, il avait désigné l’Anglais Ben Ryan comme sélectionneur de rugby à 7, en allant à l’encontre de l'avis de ses dirigeants. Une obstination payante, puisque le natif de Wimbledon va offrir deux titres de World Series à la sélection, ainsi qu’une médaille d’or aux Jeux Olympiques de Rio, la première de l’histoire du pays. Pour remercier Franck Boivert de ses travaux conséquents, l’état a octroyé un passeport fidjien à lui, sa femme et ses filles.
En parallèle, sa réussite passée lui permet d’obtenir un partenariat privilégié avec certaines formations de Top 14. La plus connue reste celle de l’ASM Clermont qui lui confie la responsabilité d’une académie aux Fidji, dont les meilleurs joueurs partiront en Auvergne. Débutée en 2012, cette initiative s’est étendue jusqu’à peu. Désormais terminée, elle a connu des hauts et des bas. « On a envoyé des jeunes à Dubaï, pour un stage de préparation de l’ASM, puis Paul Albaladejo est venu pour faire du repérage. Le problème, c’est qu’il n’aimait vraiment pas que les joueurs soient en retard. Ça le rendait de mauvaise humeur, mais ça aux Fidji, ce n’est pas possible. »
De plus, les deux formateurs ne partageaient pas la même méthode. Un jour, Franck Boivert se rend compte que son confrère fait des exercices de manipulation de balles avec des Fidjiens, une situation aberrante selon lui. « Vérifier si un Fidjien sait rattraper un ballon, c’est comme s’assurer qu’un Brésilien sait faire un contrôle au football, ça n’a pas de sens » argue le Franco-Fidjien.
Rugby français et fidjiens, un amour fou
Après 20 ans à vivre aux Fidji en quasi continu, il a isolé ce qui fait que les Fidjiens se plaisent au jeu français. S’il identifie l’appétence pour le jeu de puissance, tout en restant dans le mouvement et en essayant de faire vivre le ballon le plus longtemps possible, il met en lumière d’autres points. « Aux Fidji, vous trouvez beaucoup d’entraîneurs issus de l’école néo-zélandaise. Le problème, c’est qu’ils sont souvent trop carrés. Nous, en tant que Français, nous sommes plus cools, détendus. Le côté latins peut-être. Aussi, on valorise plus fréquemment l’initiative, surtout quand elle réussit. On n'enferme pas des joueurs dans un style pour correspondre à notre besoin, on s’adapte aux profils des joueurs. » De plus, le Catalan souligne également des différences entre les gabarits et les cultures entre Polynésiens (Samoans, Maoris ou Tongiens par exemple) et Mélanésiens, ethnie majoritaire aux Fidji.
Après avoir révélé de nombreux talents, Franck Boivert a failli être récompensé du Graal ultime : le poste de sélectionneur de l’équipe nationale. Après la Coupe du monde 2023, où il n’a pas du tout apprécié le style de jeu affiché par les Fidji, le poste était vacant. Ainsi, plusieurs cadres de la sélection auraient demandé à voir le Catalan prendre les commandes du groupe. Sollicité, ce dernier a déposé sa candidature néanmoins, son nom ne fut pas retenu. « Mon dossier s’est perdu, c’est ce qu’on m’a dit à la fédération », lance-t-il. Qui sait, peut-être que l’avenir lui sourira (encore) un peu plus ?
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