Ce confinement nous sèvre de matchs ? C’est l’occasion de réfléchir sur notre rugby, entre deux rediffusions de finales historiques du Top 14. Premier constat : même vingt ans après, Diego Dominguez est toujours aussi classe avec son maillot bleu à éclairs rouges du Stade Français floqué du numéro 10. Second constat : on avait oublié qu’il n’y a pas si longtemps, les joueurs ne savaient pas faire de passes vissées en France, mais les équipes tentaient et marquaient beaucoup plus. Ce qui donnait des rencontres beaucoup plus ouvertes avec beaucoup plus de spectacle, CQFD. Troisième constat : si plein de joueurs étrangers foulent chaque week-ends les pelouses de l’hexagone, très peu de joueurs français jouent en professionnel à l’étranger. Enfin, quatrième constat : en France, on parle très peu du rugby étranger, hors coupes d’Europe et Six Nations. Alors, suivant ces deux dernières réflexions, cette fin de saison prématurée est l’occasion de découvrir le rugby qui se joue derrière nos frontières. Direction l’Italie pour aller à la rencontre de Mathieu Guillomot, demi d’ouverture des Rugby Lyons de Piacenza en première division locale, le Peroni Top 12.
« Le confinement n’est pas facile tous les jours »
Mi-février, la ville de Codogno, en Lombardie, atteint une renommée mondiale aussi tragique qu’inattendue : c’est un des épicentres du coronavirus en Italie. Ce « Wuhan italien » se trouve à 16 kilomètres de Plaisance (Piacenza dans le dialecte de Sergio Parisse) et de Mathieu Guillomot. A la même période, le 15 février, il manque avec huit coéquipiers le déplacement à Rovigo (défaite 50-19) pour cause de… forte grippe, toux, perte du goût et de l’odorat. Cela ne vous rappelle rien ? « On ne savait pas qu’il y avait ce virus dans le coin. Je ne peux pas affirmer que c’était le coronavirus, personne n’a fait les tests, même si un joueur a fini à l’hôpital. » Malgré cela, les entraînements continuent à huis-clos. Mais quand, le 8 mars, les régions du nord-ouest du pays sont placées en quarantaine, le voilà pris au piège. « Je n’ai pas eu le temps de rentrer » déplore-t-il. Le voilà confiné, seul dans son appartement depuis maintenant deux mois, deux très longs mois. « Ce n’est pas facile tous les jours, » confie le joueur âgé de vingt-six ans. S’entretenir physiquement est déjà un défi pour lui. « Le club n’a pas voulu nous mettre à disposition le matériel de la salle de musculation et le gouvernement interdit de faire des footings ». Heureusement, depuis le début du déconfinement partiel en Italie, le 4 mai, il peut sortir courir et profiter de la salle de musculation d’un ami. Alors, que peut bien faire un rugbyman cloîtré à 920 kilomètres de chez lui ? « Je passe du temps sur Netflix, d’autant qu’en arrivant en Italie j’avais fait le choix de ne pas prendre de télé, choix que je commence à regretter. » Pas très original… « Mais je cuisine énormément car pendant la saison je n’ai pas le temps. » En bon professionnel, il ne s’adonne pas à la cuisine italienne et ses plats tous plus riches en calories les uns que les autres. Et évidemment, il passe beaucoup de temps en appel vidéo avec ses coéquipiers et sa famille confinée en Île-de-France.
L’exil pour sortir de l’impasse
C’est d’ailleurs dans cette région, et plus précisément à Orsay, que Mathieu Guillomot entre dans le monde de l’ovalie. En cadets, il rejoint Massy. Ces trois années dans l’Essonne lui permettent de fréquenter les équipes de France de jeunes, puis d’intégrer le centre de formation de Clermont-Ferrand. Après un contrat espoir à Castres, il continue de s’enfoncer dans le sud de la France et rejoint les rangs de Carcassonne, à l’été 2015. Au pied de la Cité, il dispute neuf matchs en deux saisons. Insuffisant pour obtenir une prolongation, une offre venant de Top 14 ou de Pro D2. Pas séduit par celles émanant de Fédérale 1, à deux doigts de rentrer chez lui à Paris et d’abandonner ses rêves de rugby professionnel, son agent lui propose de faire circuler son nom à l’étranger. Et rapidement, le Rugby Lyons de Piacenza, fraîchement rétrogradé en Serie A, la seconde division locale, manifeste son intérêt. Défi accepté par le joueur. « J’ai signé sans trop savoir où j’allais. Je me suis dit que je n’avais plus grand-chose à perdre » avoue-t-il. Fin juillet 2017, voilà le joueur parisien en route pour l’Italie.
Une renaissance italienne
Après une première saison réussie, il passe les sélections pour intégrer la province des Zebre de Parme. En Italie, deux provinces, les Zebre et le Benetton de Trévise, évoluent en Pro 14, championnat regroupant des provines galloises, écossaises, irlandaises sud-africaines et donc, italiennes. Les principaux clubs du pays sont affiliés à l’une de ces deux équipes. En début de saison, les meilleurs joueurs de chaque club sont invités à passer des sélections avec leur province de rattachement. Ils peuvent obtenir un transfert avec la province, soit une double licence qui leur permet de jouer dans leur équipe du championnat italien s’ils ne sont pas pris pour jouer en Pro 14. Mathieu Guillomot passe toutes les sélections et tape dans l’œil de l’entraîneur, Michael Bradley, qui lui propose un contrat. Il souhaite faire évoluer le Français en position de second centre, lui l’habituel demi d’ouverture. Malheureusement cela ne se fera pas. Le club traverse alors une crise sportive et financière, ce qui pousse la Federazione Italiana Rugby à mettre le club sous sa tutelle. Alors, « forcément les dirigeants de la fédération se mêlent du sportif » concède le joueur. « Politiquement, c’était compliqué de prendre un Français de vingt-quatre ans qui venait d’arriver dans le pays depuis une saison car ils ont pas mal de pression sur la formation. C’est très frustrant car ce choix ne résulte pas du sportif… » poursuit-il amèrement. Malgré cela, le coach irlandais insiste et conserve le joueur dans son effectif, grâce au partenariat des deux clubs qui lui confère une double licence. C’est donc sous le maillot des Zebre que Mathieu Guillomot effectue la présaison. Il joue même deux matchs amicaux face à Grenoble et face au Benetton Trévise. Malheureusement, la fédération va de nouveau s’emmêler et le joueur doit repartir à Piacenza. Auteur d’une saison pleine, il contribue au titre de champion de Serie A acquis par son équipe, avec notamment un essai en demi-finale. Comme l’été précédent, Michael Bradley souhaite le joueur dans son effectif, mais les dirigeants refusent une nouvelle fois l’homologation du contrat. Cette saison, le retour en Top 12, après deux années dans son antichambre, s’est avéré difficile pour le Français et son équipe. Elle n’a remporté que deux matchs sur douze et se classe avant-dernière. Malgré cela, le demi d’ouverture réalise une bonne saison, comme en témoignent ses statistiques : en onze matchs, il a inscrit 114 points (avec 75% de réussite face aux perches), ce qui en fait le second meilleur marqueur du championnat.
« Un championnat très homogène »
Le 27 mars, tous les championnats italiens ont été officiellement annulés. Pas de descente en Seria A pour les Rugby Lyons qui se trouvaient en position de relégables. Ce maintien acquis pour des raisons sanitaires laisse malgré tout une pointe de déception chez Mathieu Guillomot : « On aurait aimé le jouer sur le terrain même si nous n’étions pas dans une position agréable… On se battait, et je pense que l’on aurait pu le faire. Mais bon, il y a pas mal de mecs, qui avaient des options de prolongations en cas de maintien, qui vont pouvoir souffler, comme la direction. » Même si l’équipe devra se battre pour éviter la descente l’année prochaine, ce maintien rentre dans le projet du club qui est de se stabiliser en Top 12. Le Top 12, parlons-en. Renommé il y a deux ans, il se jouait cette année la quatre-vingt-neuvième édition. Les équipes sont majoritairement issues du nord du pays, les clubs les plus au sud sont ceux de Rome, la Lazio et Fiamme Oro. Mis à part Florence (I Medicei) et Rome, les clubs de l’élite ne sont pas dans les grandes villes. Oubliez donc Milan, Turin, Naples, Palerme ou Gênes, cités où la pratique du football est vénérée. Les clubs de l’élite se trouvent dans des villes moyennes voir petites en termes de population, comme Calvisano (8 500 habitants) ou Colorno (9 000 âmes). De quoi rappeler aux plus anciens qu’il fut un temps, désormais révolu et inimaginable, où les meilleurs joueurs de l’élite jouaient à Quillan, La Voulte, Bagnères-de-Bigorre ou à Lourdes. Pour revenir sur les terrains italiens, le Top 12 a donné un championnat à trois vitesses cette saison. Dans la bataille pour le titre, Rovigo (51 points) avait pris sept points d’avance sur une meute de poursuivants constituée du Valorugby Emilia, Calvisano, Fiamme Oro (tous 44 points) et Petrarca (42 points). En milieu de tableau, le classement était aussi très serré avec en sixième position Viadana (25 points) à égalité avec Mogliano et I Medicei et trois points devant San Donà (22 points). Dans la lutte pour le maintien, Colorno (16 points), dixième, avait respectivement deux et quatre unités d’avance sur les deux clubs de la zone rouge, Piacenza (14 points) et la Lazio Rome (12 points). « C’est un championnat très homogène » commente Mathieu Guillomot. « Il y a des matchs qui peuvent ressembler à du haut de tableau de Fédérale 1 comme d’autres peuvent être du niveau du haut de classement de Pro D2. Certaines équipes jouent le Challenge Européen donc cela leur permet de progresser. Des équipes comme Calvisano ou Rovigo c’est de la très bonne Pro D2, même si c’est peut-être un peu moins physique. »
A la recherche d’un nouveau défi
En Italie depuis bientôt trois ans, le Parisien d’origine s’est très bien adapté à la dolce vita. Ce pas vers le rugby étranger, très peu de joueurs français le font. Pourtant, le demi d’ouverture est pleinement épanoui, sur le terrain comme en dehors. De son propre aveu, cette expérience lui aura permis de devenir bilingue en italien, de découvrir une nouvelle culture et de nombreuses personnes. Cette aventure vers l’étranger, il la recommande : « Ça m’a souri, c’est vrai que tout se passe bien pour moi. Si l’opportunité se présente pour un joueur français un peu dans la même situation que moi à l’époque, oui je lui conseille de tenter sa chance hors de France. » Cependant, il faut savoir que le nombre d’étrangers se limite à quatre par clubs en Italie. En fin de contrat au Rugby Lyons, Mathieu Guillemot est en pleine réflexion sur son avenir. Il pense partir pour continuer sa progression, même s’il se sent bien à Piacenza et qu’il s’entend très bien avec son entraineur, Gonzalo Garcia. Certains se souviendront de ce centre barbu international italien, souvent vu lors des Six Nations. Les puristes ne manqueront pas de souligner qu’il a joué quelques mois en Fédérale 2 du côté de Cahors en 2016.
Arrivé en tant que manager et entraîneur des trois-quarts cette saison, « il a fait beaucoup de bien au groupe. On travaille bien avec lui sur le terrain et individuellement il est très à l’écoute des joueurs » selon l’ouvreur. Malgré cela, des offres de clubs de haut de tableau semblent avoir sa préférence. Malheureusement pour lui, un accord trouvé avec une des meilleures équipes du championnat a été rendu caduc à cause du covid-19 qui bouleverse les trésoreries. Le choix de son nouveau maillot est dicté par un détail très important, la province d’affiliation du club. A Parme, il est proche de certains joueurs et l’entraîneur est prêt à lui offrir un contrat. Mais du côté de la direction, on ne semble toujours pas enclin à recruter un nouvel élément étranger (dix actuellement dans l’effectif). « Je ne sais pas si ça va se débloquer… » reprend le joueur. « Je sais qu’il y a les élections à la fédération cette année, donc si les têtes changent cela peut faire avancer les choses. » Alors, il réfléchit à tenter sa chance avec une équipe affiliée à Trévise. Le club n’est pas sous tutelle de la fédération et peut engager le nombre de joueurs étrangers qu’il souhaite, même si ce n’est pas la stratégie affichée. Alors que les Zebre finissent régulièrement à la dernière place de la conférence A, le Benetton à l’avantage d’avoir plus d’ambitions, comme en témoigne sa troisième place de la conférence B l’an dernier. Et un retour en France ? « On m’a un peu oublié… » regrette l’ancien Carcassonnais. Les rares approches se limitent à des prises de températures. « Quelques fois, des coachs m’ont dit qu’ils me prendraient s’ils étaient nommés dans un club, mais cela ne s’est jamais fait. » Pourtant, il ne désespère pas de refouler les pelouses de l’Hexagone un jour. « J’espère que mon profil de joueur polyvalent, JIFF, buteur et pas trop vieux peut séduire certains clubs, même s’il faut reconnaître que ce n’est pas super sexy non plus. » Malgré cette forte envie de rentrer jouer dans son pays d’origine, et pourquoi pas dès la saison prochaine, il n’oubliera jamais sa partie d’adoption : « Je me suis plus fait un nom en Italie qu’en France ».
RAYZORX09
Un bon joueur en Italie, pas une star hein. Pour être une "star" en Italie, faudrait qu'il jour en Pro 14, et encore...
Team Viscères
Pour être une star en Italie il vaut mieux jouer en Série A qu'en Pro14.
RAYZORX09
C'est pourquoi, j'ai écrit "et encore" 😉
lelinzhou
Une star en Italie ? Vraiment ?