RUGBY. Japon et France : deux étrangers au bout du monde, si différents - Loin des Bleus, près du cœur #14
Durant l'été, le Rugbynistère vous propose une série d’articles mettant en avant l’influence sportive du rugby français à l’étranger. Crédit image : 江戸村のとくぞう- CC BY-SA 4.0 (Wikimedia Commons)
Avec un championnat et une sélection de plus en plus compétitifs, le Japon se crée un microcosme unique dans le rugby mondial.

Isolé durant 200 ans, le Japon s’ouvre totalement au monde en 1868. La même année, le premier match de rugby aurait été joué sur l’archipel et le premier club y est fondé en 1899. Face à cette riche histoire et par son isolation géographique, le ballon ovale japonais a longtemps évolué en vase clos. En l’espace de 125 ans, les échanges rugbystiques directs entre la France et le Japon se sont fait rares et ponctuels.

Depuis le début du XXIe siècle, moins d’une dizaine de Japonais ont évolué en France, quand seulement deux Français ont fait le chemin inverse. Dans l’archipel, la trace française la plus marquante reste le passage controversé de Jean-Pierre Élissalde, licencié après quelques mois passés en tant que premier sélectionneur étranger de l’équipe nationale du Japon. Ainsi, difficile d’imaginer une influence sportive française, voire européenne, forte dans l’archipel.

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S'ouvrir au monde avec le rugby ?

Depuis la fondation de la Top League en 2003, amenant au professionnalisme du rugby nippon, peu de Tricolores s’y sont exportés. En tant que joueur, le plus marquant reste l’expérience de Nicolas Kraska, qui s’y est exporté de 2015 à 2021 pour les Toshiba Brave Lupus, puis les Shimizu Blue Sharks. Ainsi, il devient le premier français à jouer au niveau professionnel au Japon.

Ainsi, il s’installe à Tokyo où il retrouve le champion du monde François Steyn, avec qui il a déjà joué dans les Hauts-de-Seine. Une fois là-bas, il s’adapte au jeu local et devient même polyvalent. En France, ce trois-quart de 1,77 mètre est cantonné à l’aile. Au Japon, il devient aussi centre et couvre les deux postes. Un changement pour profiter d’une touche de French Flair ? Loin de là, car « pour eux, le stéréotype du jeu français est assez bourrin, ils pensaient presque que je ne saurais pas faire une passe », ironise-t-il.

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Dans cette veine, le passage du Landais Marc Dal Maso avec l’équipe nationale du Japon a marqué les esprits. Adjoint dédié à la mêlée sous Eddie Jones (2013-2015), son influence a été visible par Nicolas Kraska lors de son expérience nippone. Le joueur évoque un « travail respecté et salué par tout le monde, participant à entretenir l’idée d’un rugby français qui est, avant tout, un rugby d’avant. » L’apport de joueurs étrangers étant limité au Japon, les clubs cherchent logiquement à attirer des profils ou des gabarits rares dans la formation locale.

Seul autre français à avoir déjà joué en professionnel au Japon, le deuxième ligne international français Yoann Maestri a joué au Toyota Industries Shuttles Aïchi. En deuxième division de Japan League One, son gabarit (2,02 mètres, 119 kg) et sa puissance ont été appréciés. Lui et Nicolas Kraska détaillent que les rugbymen français qui font figure de références dans le pays d’Orient sont loin d’être des poids légers : Imanol Harinordoquy, Abdelatif Benazzi, Sébastien Chabal, etc.

Si Nicolas est globalement ravi de cette expérience rugbystique et professionnelle dans un pays où il a retrouvé goût au rugby, il ne néglige pas certaines barrières culturelles ou des comportements qui peuvent être déstabilisants. En arrivant au cœur du jeu, le Franco-Thaïlandais nouvellement centre veut démonter les clichés qu’ont les Nippons, mais la réponse « dans la mentalité japonaise » le surprend :

Quand je leur ai montré que je savais jouer les surnombres et prendre les espaces, certains coéquipiers japonais m’ont répondu « Tu n’es qu’à moitié français. C’est normal que tu aies pu apprendre. » Pourtant, j’ai été formé en France et j’y ai joué au rugby professionnel. C’est débile, mais c’est très japonais."

VIDEO. Pour ses débuts au Japon, Yoann Maestri joue déjà aux quilles avec les NipponsVIDEO. Pour ses débuts au Japon, Yoann Maestri joue déjà aux quilles avec les Nippons

Tempérament latin en terre inconnue

D’autres problèmes font leur apparition dans les relations entre Français et Japonais. En effet, la pédagogie latine et occidentale pousse au débat, les Japonais privilégient un respect immuable de l'aîné et du coach. Lors des entraînements, impossible de discuter du plan de l’entraîneur, « qu’il soit bon ou pas bon, tu dois le respecter. » Il explique par ailleurs qu’il s’est confronté à cette différence et « s’est fait avoir en pensant bien faire. »

« En France, on te demande tout le temps de participer et de donner ton avis. Au Japon, j’ai donné une idée au coach, on m’a reproché d’être trop latin, de parler avec le cœur. À ce moment-là, je me suis pris une porte dans la gueule. C’est aussi une raison pour laquelle ils ne font pas attention aux joueurs français », affirme l’ancien joueur du Racing 92, qui s'est adapté à cette pédagogie au fil du temps. Il confie aussi que « si l’équipe fait un mauvais match, ce sont les erreurs de l’étranger que l'on va pointer du doigt en priorité. »

Nicolas Kraska, seul Français à évoluer au Japon : ''le rugby d'ici me plaît beaucoup''Nicolas Kraska, seul Français à évoluer au Japon : ''le rugby d'ici me plaît beaucoup''

Cette différence de traitement s’observe dans d’autres circonstances. Ainsi, le capitaine iconique du Japon Michael Leitch aurait confié un jour que les sessions mêlées s’étaient déjà vues annulés sur une journée d’entraînement de la sélection nipponne, en guise de sanction. Pour cause, Marc Dal Maso avait une minute de retard. Cet écart qui peut paraître anodin, pour un entraîneur, en France avait provoqué l’agacement des Japonais et d’Eddie Jones, d’origine japonaise par sa mère.

Nicolas Kraska explique que dans le rugby nippon, « les Français sont appréciés pour ce qu’ils apportent sur le terrain, pas forcément pour ce qu’ils sont en dehors. » Yoann Maestri confie qu’il « voyait un peu cela et que si les Japonais ne pouvaient jouer qu’avec des Japonais, ils le feraient. Ils ont eu une culture très protectionniste et nationaliste ». Néanmoins, il indique qu’il n’y a pas directement été confronté lors de sa pige de fin de carrière dans l'archipel. L'ancien Toulousain complète son appréciation du rugby japonais ainsi : « Les Japonais ont un jeu rapide, mais très cadré. Il y a des fois où on peut te reprocher une forme de French Flair, sur un jeu d’instinct. Pour eux, il faut absolument jouer le 3 contre 2, plutôt que de tenter de passer seul dans un espace. »

INTERVIEW. Nicolas Kraska :  INTERVIEW. Nicolas Kraska : "J’adorerais qu’il y ait plus de Français dans le championnat japonais"

Cependant, Nicolas Kraska confie qu’il n’y a pas la même tolérance en fonction du statut des joueurs : « Si vous êtes un international étranger reconnu, on va vous laisser jouer comme vous voulez. On ne va pas oser vous remettre en question au vu de votre expérience. » Avec 66 sélections au compteur, deux titres en Top 14 et une Coupe d’Europe, Yoann Maestri confirme que beaucoup d’attentes ont entouré son arrivée et qu’il a bénéficié d’une attention particulière. Lui, au contraire, espérait « se fondre dans la masse ». Il confie que cette parenthèse japonaise était « une expérience personnelle géniale » où il a réussi à tisser des liens forts avec les locaux, en dehors du rugby et malgré les barrières culturelles.

Malgré cet aspect patriote du rugby nippon, ce dernier n’est pas vierge de toute influence étrangère. Si le Top 14 s’exporte mal là-bas, le Super Rugby fait le bonheur des passionnés. « J'ai l'impression que les Japonais connaissent une influence importante de la part de l’hémisphère sud. Les Néo-Zélandais et les Sud-Africains ont compris depuis un moment qu’il pouvait s’exporter là-bas. Les Australiens commencent à le faire. En compétition extérieure, ils ne regardent que le Super Rugby. Ils sont aussi complètement fous des All Blacks, ils les adorent », déclare Yoann Maestri.

Seule trace du Top 14 au Japon, le Stade Toulousain a développé un partenariat avec les Shizuoka Blue Revs, évoluant en Japan League One. À chaque année de Coupe du monde, un espoir toulousain et un équivalant de Shizuoka échangent leur place en tant que joueur supplémentaire. Cependant, en 2023, l'arrière Kakeru Okumura n'a pas joué une seule minute en rouge et noir. À l'inverse, quelques joueurs japonais ont tenté le pari tricolore ces dernières années. Fraîchement arrivé à Toulouse, le demi de mêlée Naoto Saito a signé pour une saison chez les champions de France et d'Europe, rejoignant son compatriote Tevita Tatafu (UBB) dans l'Hexagone. Cependant, les passages de joueurs nippons en Top 14 sont contrastés. L'aventure ratée d'Ayumu Goromaru à Toulon en est la preuve, quand le passage de Kotaro Matsushima à l'ASM Clermont a aidé à redorer l'image des joueurs japonais en France.

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Alors que le rugby français prend quelques vacances bien méritées, le Rugbynistère vous propose de faire un tour du monde. Au travers d’une série d’articles, baptisés “Loin des Bleus, près du cœur”, il est l’occasion de voir les relations et de constater l’influence sportive que peut avoir le rugby français à l’étranger. Durant l’été, découvrez un croquis de cette empreinte rugbystique qui s’étend du Japon au Brésil, en passant par bien d’autres pays.
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