Depuis une dizaine d’années, le championnat japonais est devenu un concurrent inattendu face aux mastodontes européens. Tout particulièrement, la Top League, puis la Japan League One dès 2021, réussit à attirer certains des plus grands noms de l'hémisphère sud. En 2015, Beauden Barrett ou Pieter-Steph du Toit auraient sûrement signé en Top 14 pour s’offrir l’exil, comme l’ont fait Matt Giteau ou Dan Carter à leur époque. Aujourd’hui, ils ont choisi le Japon. Sur l’équipe sud-africaine championne du monde en 2023, plus d’un tiers des titulaires étaient sous contrat avec une formation japonaise.
Face à cette concurrence nouvelle, le Top 14 a-t-il du souci à se faire ? Pour le savoir, Kazuhiro Tamura livre son expertise sur la Japan League One, format actuel du championnat japonais. Pendant 26 ans, il a été le rédacteur en chef du « Rugby Magazine », seule revue du rugby mensuelle au Japon. Une interview réalisée avec l'aide de Miyuki Fukumoto, traductrice franco-japonaise et spécialiste du rugby à XV.
Pourquoi autant de stars étrangères viennent en Japan League One ?
Le nombre de matchs, actuellement 18 par saison et par club, est assez faible. Et par rapport à cela, le salaire est assez élevé avec de bonnes conditions de vie. Parallèlement, les Sud-Africains mettent aussi en avant le niveau de sécurité du pays.
Le Japon peut-il devenir l'endroit d'exil favori des stars de l'hémisphère sud ?
À vrai dire, il l’est déjà, surtout pour les Océaniens et les joueurs sud-africains.
Les équipes de Japan League One peuvent-elles concurrencer celles de Top 14 ? Si oui, lesquelles ?
Oui, je pense notamment à Saitama Panasonic Wild Knights, dont l’effectif est composé de beaucoup de joueurs internationaux de diverses nations. Elle pourrait rivaliser juste pour une rencontre, voire quelques matchs. Mais ça serait beaucoup plus difficile sur une longue saison en raison du manque de profondeur de l’effectif. Dans le futur, si la concurrence devient plus rude et que le nombre de matchs augmente, plus d’équipes seront en mesure de concurrencer celles de TOP 14 qu’il y en a maintenant.
Top 14. Du jamais vu ! Une saison record en termes d’affluence dans les stades
Le Japon et la France sont les deux seuls pays avec plusieurs divisions professionnelles. Comment expliquez-vous cela ?
Au Japon, il y a actuellement trois divisions professionnelles, on retrouvera 12 clubs en D1, 8 en D2 et 6 en D3 à partir de la saison prochaine. Les clubs des trois divisions contiennent tous un mélange de joueurs professionnels et de joueurs-salariés. Ces derniers ne sont pas des joueurs professionnels, mais des salariés de la société mère, dite désormais « main sponsor ». Le taux des joueurs professionnels est plus élevé chez les clubs de haut de tableau. Les joueurs-salariés sont nombreux chez les clubs de bas de tableau.
Comment se manifeste la différence de niveau entre les différents clubs professionnels ?
On peut diviser les 23 clubs professionnels ayant joué cette saison en trois catégories. Tout d’abord, dans les meilleurs clubs, on retrouve ceux qui accélèrent le développement du championnat en faisant appel à des tops joueurs mondiaux et avec un effectif largement professionnel. Ensuite, on retrouve les équipes qui ne comptent pas ou peu d’étrangers et dont les joueurs-salariés représentent la moitié de leur groupe. Enfin, il y a ceux qui ne comptent quasiment que des joueurs-salariés et qui commencent à se développer. Il y a un grand écart entre les clubs au niveau rugbystique ainsi qu’au niveau de la ferveur qu’on observe autour d’eux.
Le Top 14 s’illustre par ses nombreux spectateurs en tribunes. De son côté, l'affluence moyenne de Japan League One grandit d'année en année*. Cette évolution est-elle durable ?
Il y a sûrement l’effet « Coupe du Monde 2019 » où beaucoup de gens ont découvert le rugby à ce moment-là. En plus, on a eu beaucoup de joueurs de classe mondiale cette saison et cela a fait augmenter le nombre de spectateurs. Cependant, cette évolution n'est pas homogène. Il n’y a que certaines affiches qui attirent vraiment beaucoup de gens. Quand il y a un écart entre les 2 équipes, la rencontre intéresse moins. Cela ne fait que 3 ans depuis le lancement de League One et des clubs distribuent des invitations gratuites aux habitants du quartier. C’est encore difficile de savoir si c’est durable, mais il y a de plus en plus de fans de rugby auprès du grand public.
* 20 des 23 clubs en compétitions ont vu leur affluence augmenter entre 2023 et 2024
Les moyens financiers du rugby japonais peuvent-ils concurrencer ceux du Top 14 ?
Actuellement, je pense que la situation financière de chaque club est dans le rouge. Le montant des frais de personnels est flou, puisqu’il y a des joueurs-salariés qui ne sont pas directement payés par les clubs. Un club de haut de tableau a récemment dit qu'il fallait 10.000 spectateurs non invités pour équilibrer les comptes sur un match. De ce fait, on peut considérer que la plupart des matchs se font à perte. En plus, il y a des dépenses pour les activités quotidiennes. Donc presque tous les clubs sont dans le rouge financièrement. Ce sont leurs sociétés mère qui les soutiennent. Cette situation n’a pas changé depuis l’époque de la Top League, même depuis l’époque du championnat amateur des entreprises. Dans l’avenir, elle ne changera pas facilement.
Quelles sont les ambitions de la Japan League One, concernant son développement national ou international ?
Pour développer le niveau, la Japan League one cherche à augmenter le nombre de matchs, pour créer plus de concurrence entre les clubs. Ce serait pas mal de se confronter à des clubs étrangers. La Ligue japonaise examine la possibilité d’organiser une « grande finale » à laquelle les clubs de haut de tableau joueraient contre ceux des championnats étrangers.
Y a-t-il une influence de championnats étrangers auprès de la Japan League One ?
Nous avons eu l'événement « Cross-Border Rugby 2024 », cette année. Il s’agissait de matchs amicaux contre les franchises néo-zélandaises des Blues et des Chiefs. Le rugby japonais espère maintenir cette bonne relation avec le Super Rugby Pacific.
Desman
Merci pour cette interview intéressante et dépaysante. C'est toujours sympa de découvrir le rugby d'ailleurs !
Deux remarques cependant :
- Je ne vois pas comment la League One pourrait sérieusement concurrencer le Top 14. Les stars étrangères y vont souvent en préretraite, et la moitié du championnat est de type corporatiste comme l'itw l'explique. Au niveau financier, ok, mais au niveau sportif ils sont encore très loin du Top 14 ou du Championship.
- L'Angleterre aussi compte 2 divisions pros.
Erwan Harzic
Bonjour, merci d'avoir lu l'article et pour vos retours !
Pour le premier point, l'idée était justement de savoir si la puissance financière de la Japan League One permettait de concurrencer sportivement le Top 14. L'article y apporte un début de réponse, même si c'est une question complexe, car le championnat français est très peu suivi au Japon et inversement. Par ailleurs, l'idée d'un championnat de "préretraite" était véridique lors de la Top League, mais est plus devenue une idée reçue aujourd'hui. Actuellement, une grosse partie du groupe champion sud-africain évolue au Japon, certains y évoluant depuis de nombreuses années. De la même manière, les liens entre les fédérations néo-zélandaises et japonaises ont favorisé l'apparition de "piges" où des All Blacks en pleine carrière et en état de grâce effectuent une ou deux saisons dans l'archipel asiatique. Les cas récents de Damian McKenzie, Richie Mo'unga ou Beauden Barrett en sont des exemples.
Pour le second point, le RFU Championship (deuxième division anglaise) n'est malheureusement pas un championnat professionnel. Quelques clubs le sont, sans en avoir le statut officiel, mais la majorité des équipes restent amateurs ou semi-professionnelles. Cette vérité, c'est d'autant plus accentué depuis la fin des promotions vers la Premiership. Néanmoins, les choses pourraient changer, car la Fédération anglaise a la volonté d'amener le RFU Championship vers un statut professionnel, selon une réunion ayant eu lieu à la fin du printemps de cette année.
Ces points n'ont pas été développés dans l'article, car ils s'éloignaient du sujet.
Merci à tous les lecteurs pour votre fidélité sur cette série de l'été !
Amitiés rugbystiques,
Erwan Harzic.
alan75
Concurrent ? Du MHR peut-être... 🤔
Amis à Laporte
Merci pour l'article.
Cela donne une bonne idée quant à la situation du rugby au Pays du Soleil Levant.
L'idée que je m'en fais est plus sur un championnat de gala où les gens viennent au spectacle... Mais je peux me tromper, bien sûr. 🙂
balobal
Bien d'accord.
Mais comme le championnat japonais est plutôt ouvert, dynamique et peu rugueux et roublard, et avec un calendrier très correct, ça permet aux joueurs de rugby qui veulent continuer de profiter de prolonger leur carrière en étant toujours de bons joueurs et avec moins de risques et de pénibilité. Le tout en étant bien payé, et avec une ambiance et un accueil hyper sympa dans le pays.
Franchement sur le papier en tout cas c'est attractif ! Je les comprends bien tous ceux qui partent faire des piges là bas. Que ce soit sur l'aspect pro ou perso.
alan75
Donc tu soues-entend qu'il détourne les joueurs de la Nationale?
balobal
haha oui carrément c'est vrai que c'est un peu ce qu'il se passe avec la Nationale !
Mais y a quand même certainement moins de confort dans les vestiaires et un peu plus de risques de gnons dans la poire 🙂
Ptigat
Je suis d’accord ! Star vieillissante mais qui reste de joueurs de talents ! Par contre face à des équipes d’urc et encore plus de top 14, je pense que c’est physiquement que les franchises japonaises se ferait surpasser…