En 2015, le Japon signe le plus grand exploit de l’histoire du rugby en battant l’Afrique du Sud. Quatre ans plus tard, le Pays du Soleil Levant organise son propre mondial, bat l’Irlande puis l’Écosse et se qualifie en quart de finale en finissant en tête d’une poule relevée. En 2023, le Japon est attendu sur la scène internationale. Véritable vent de fraîcheur sur un rugby international polarisé, la nation asiatique a une longue histoire rugbystique mais veut désormais confirmer son niveau durant la grande vitrine du rugby mondial. Mais, en tentant de monter ses premières marches vers le succès, le Japon vient de s’étaler… deux fois de suite.
🇯🇵 🇳🇿 FT: Japan XV 6-38 All Blacks XV. Pas de surprise, le chantier est gigantesque. Pas de conquête, défense à la rue, pas d'animation rapide du jeu, ligne arrière faible comme jamais, etc... pic.twitter.com/1ggFFjnsjV
— Asie Rugby (@AsieRugby) July 8, 2023
Le 8 et 15 juillet dernier, les Brave Blossoms se sont frottés à une réserve néo-zélandaise, les All Blacks XV, venus en tournée dans l’archipel. Ces derniers ne comportent aucun joueur de premier rang, retenus pour le Rugby Championship, et aucun grand espoir du rugby néo-zélandais, présent à la Coupe du monde U20. Résultats des courses : deux larges défaites japonaises sur les scores de 38 à 6 (8 juillet) et 41 à 27 (15 juillet). Des scores très éloignés de la courte défaite 38 à 31 que le Japon avait connue contre les All Blacks à l’automne 2022.
Le Japon face à ses démons
Contacté par le Rugbynistère, nous avons demandé un éclaircissement sur la situation du rugby nippon à Hinato, rédacteur du site Asie Rugby et spécialiste du rugby japonais. Tout d’abord, ce dernier nous affirme que sur le dernier test disputé contre les All Blacks XV “on est très proche de la formation japonaise imaginée pour disputer la Coupe du monde de rugby en France.” Selon lui, seuls le deuxième ligne Warner Dearns et l'ailier Siosaia Fifita manquaient à l’appel. Ils devraient réintégrer le groupe prochainement.
Ensuite, l’équipe observée actuellement n’a selon lui “aucune chance de vaincre l'Angleterre et l'Argentine” au mondial en France. En cause, plusieurs problèmes majeurs se présentent dans la préparation du groupe, ses choix tactiques, mais aussi dans les hommes sélectionnés pour venir en France. Il doute du fait que ces maux puissent être soignés avant le mois de septembre, mais répond tout de même : “On verra lors du mondial.”
🇯🇵 🇭🇰 🇰🇷 🇲🇾 🇦🇪 Si le Japon ne termine pas à l'une des 3 premières places de la poule D, il devra reparticiper à l'Asia Rugby Championship dès 2024 et jouer contre Hong Kong Chine, la Corée du sud, la Malaisie et les Emirats arabes unis. Préparez le pop-corn. https://t.co/QJN0jc7WEY
— Asie Rugby (@AsieRugby) July 15, 2023
Rugby. Asie. Le capitaine japonais Michael Leitch croit au potentiel inexploité de la Mongolie
Les Brave Blossoms se voient-ils trop beaux ?
Hinato nous explique ainsi qu’une période de préparation à la Coupe du monde raccourcie (8 mois de préparation en 2019, contre 3 en 2023) a compliqué le programme de l’équipe nationale. Le sélectionneur Jamie Joseph “n'aime guère les surprises et se concentre donc sur des habitués de la sélection, même s'ils ont peu convaincu depuis deux ans.” La qualité des lignes arrière souffrirait notamment de plusieurs choix discutables. Il nous cite par exemple Takuya Yamasawa (28 ans), “meilleur 10 japonais depuis plusieurs années et joueur très polyvalent”, qui n'est pas “dans les plans du technicien néo-zélandais” pour le mondial. Reconnu dans son pays, le joueur avait intéressé le Racing 92 pendant un temps, avant qu'ils ne se dirigent vers Finn Russell, et Eddie Jones le comparait à un "jeune Michalak" en 2018.
Ainsi, le sélectionneur nippon, conforté par une belle campagne en 2019, aurait placé un plafond de verre au-dessus de certaines pépites du rugby nippon. Son but serait de favoriser des joueurs naturalisés et autres habitués de la sélection. Toujours selon le rédacteur d’Asie Rugby, la majorité des excellents joueurs à être apparus en League One “ne sont pas pris, car jugés pas assez physiques pour plaquer haut face aux Anglais et aux Argentins.” Seulement deux jeunes ailiers et espoirs du rugby japonais, Haruto Kida (24 ans) et Tomoki Osada (23 ans) ont réussi à faire leur trou, sans devenir des cadres du groupe pour autant. En complément, le spécialiste nous dresse ce constat du rugby japonais : “La conquête régresse, la défense est à la rue et l'animation offensive est proche du néant. Il manque de la variété au niveau de l'ouvreur et des 3/4 ainsi que de la vitesse. Enfin, le niveau technique et la vision de jeu des joueurs est aussi en dessous d'il y a quatre ans.”
Le Japon veut accueillir la Coupe du monde de rugby dans un avenir procheRécemment, le vétéran Hitoshi Ono (98 sélections) s’est exprimé auprès de Rugbyrama sur le niveau du Japon. Éloigné des terrains depuis 2016, il déclarait notamment ceci : “J'espère que cette année, on ira encore plus loin. L’objectif du Japon, c’est de gagner la Coupe du monde !” Face au contraste entre les résultats récents des Brave Blossoms et ces propos, Hinato nous livre ses impressions autour de la sélection et détaille un manque d’autocritique de certaines personnalités du rugby local et de la fédération. Il déclare :
Je pense que Hitoshi Ono et plus généralement la JRFU (NDLR : Fédération Japonaise de rugby) surestiment trop cette équipe. Le niveau est pour moi en dessous de 2015 et de 2019. Certains me diront, à juste titre, que le Japon n'avait gagné aucun match contre une nation de Tiers 1 entre 2016 et le mondial au pays. Néanmoins, on avait pu voir quelques belles performances contre l'Écosse (2016 avant l'arrivée de Jamie Joseph), la France (2017) et l'Angleterre (2018). Mais, surtout, l'équipe était montée en puissance et était rodée en 2019, avant le début de la compétition. Le jeu japonais était clair, la défense était très bonne et l'effectif était au-dessus en termes de qualité d’effectif. Que cela soit par exemple, Luke Thompson en deuxième ligne ou Kenki Fukuoka qui était alors dans le top 10 des meilleurs ailiers au monde. Ces joueurs n'ont jamais été remplacés. À moins de deux mois du mondial, le Japon actuel n'a pas résolu ses problèmes défensifs (l’entraîneur de la défense n’est en place que depuis février 2022), la conquête est loin d'être propre pour assurer les lancements de jeu et l'animation offensive est trop pauvre et peu variée.”
Pour vous tenir au courant de l'actualité du rugby asiatique, n'hésitez pas à jeter un œil sur le site d'Asie Rugby, disponible en cliquant ici.
Snark
Longtemps, l'EDF a connu le même problème : son sélectionneur. Espérons que les joueurs Nippons vont se rebeller et prendre leur destin en main...
Manu
Merci pour cet article très intéressant.
L'une des caractéristiques essentielles de la culture nippone est un patriotisme exacerbé et une fierté parfois aveugle.
La fierté empêche parfois de voir nos carences. D'où le discours de Hitoshi ONO.
Et le patriotisme a été blessé en 2019, les autorités nippones ayant mal vécu la branlée en quart après avoir été invaincu en poule. Le Japon pensait pouvoir remporter le titre. Ils avaient vraiment travaillé dur pour le gagner chez eux. Peut être qu'aujourd'hui, après cette déconvenue, le Japon n'a pas mis le même investissement et a préféré rester sur ses acquis.
GuichMuch
Je suis inquiet, j'adorais (adore) le Japon, je vais voir Japon-Argentine à Nantes lors de la CdM... Je compte supporter le Japon mais quand je lis les dernières nouvelles j'ai l'impression que battre l'Argentine relèvera de l'exploit (quasi-impossible...) ? Quel gâchis, le jeu de vitesse des japonais était super à voir et très enthousiasmant