Nous sommes le 26 Avril, j’ai rendez-vous à 17 heures dans un bar à bières tarbais avec un joueur de Rabastens de Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées. Ce joueur n’est pas comme les autres, puisqu’il est le premier rugbyman costaricain à être sacré en France.
J’arrive avec dix minutes d’avance, le temps est grisonnant mais je m’installe en terrasse, sans crainte. Nous avions convenu 17 heures pour nous retrouver, à 17h01 je le vois au loin, accompagné par Eric Baron, entraineur des lignes arrières du club. Deux cafés, et un Perrier. Dans un bar à bières, c’est bien dommage mais soit ! Bien installés sur nos tabourets, nous discutons d’abord banalités tout en échangeant quelques politesses. Je remarque un garçon plutôt timide, derrière une carrure de déménageur : le bébé mesure 1m83 pour 100 kg. Tout le monde est prêt ? C’est parti.
Une arrivée tardive
Je vous présente donc Andrés Ortiz, dit Andy, qui vient tout droit de San José, capitale du Costa Rica. Il a 26 ans depuis le 13 avril, il étudiait l’ingénierie électromécanique dans son pays natal et il était joueur à l’Universitarios Club de Rugby de San José avant de débarquer chez nous il y a quelques mois. Il est arrivé au rugby un peu par hasard, en fait. Il y a sept ans à peine, au détour d’un match en tant que spectateur, Andrés a tout de suite su que ce sport était fait pour lui. « J’ai craqué, le samedi je regardais et le lendemain j’étais sur le terrain d’entrainement de l’équipe ». Le coup de foudre existe, donc. Ensuite, tout est allé très vite : un match avec son club contre l’équipe nationale en octobre 2013 (avec à la clé un essai offert par la passe d’un ami d’enfance), et le voilà propulsé un mois plus tard en équipe nationale B de Rugby à XV. Puis en équipe nationale de Rugby à 7 en février 2014. Une ascension plutôt fulgurante pour un joueur qui peut évoluer en 3e ligne comme au centre, ou actuellement à l’aile dans son nouveau club.
Pour aller plus loin, ce joueur est doté d’un bon bagage mais avec quelques points qu’il continue de parfaire actuellement, notamment le jeu au pied. Un geste technique favori qu’il souhaiterait maitriser, surtout le coup de pied rasant. Par contre, le geste technique banni de son attirail reste le « rucking » : en effet Andrés n’est pas de la trempe des méchants, il ne s’est pas inspiré de Rodrigo Roncero pour construire sa personnalité rugbystique. Il explique ça d’ailleurs en mentionnant le fait qu’au Costa Rica, la plupart des matchs se jouait sans remplaçants… Il n’était donc pas question de se blesser ni de blesser quiconque. Un pacte de non-agression qui s’est manifesté lors de son premier match avec Rabastens où, après avoir asséné un plaquage monstrueux sur un adversaire qui n’en demandait pas tant, il le relève sous l’air ébahi d’Eric Baron, son entraineur qui continue de raconter ce fait de jeu rare dans notre rugby amateur.
Une expérience solide
Petit à petit, le bonhomme se découvre, la pudeur s’estompe et on ressent de la fierté au moment d’aborder son expérience qui précède son arrivée. Lui qui a découvert le rugby avec Joe Rocococko et le grand Stade Toulousain, est arrivé dans l’Hexagone avec une sacrée expérience, surtout dans le domaine du rugby à 7. Cancun, Veracruz, El Salvador, Mexique, Colombie, Guatemala, tant de territoires foulés lors des tournois qui ont fait de lui un véritable globetrotter de ce sport. Il participe même en 2014 aux mini jeux olympiques du continent, los juegos centroamericanos del caribe, ainsi qu’au South American C Champioship (à XV cette fois), qu’il remporte en 2017 accédant par conséquent à la division supérieure les 4 Naciones B (Guatemala, Pérou, Venezuela et donc Costa Rica).
Ce n’est pas un novice qui vient poser ses valises en France en décembre 2017. Mais comment est-il arrivé là ? Pourquoi Rabastens de Bigorre ? Qui entre nous, n’est pas l’endroit le plus reconnu de France, avec tout le respect pour les Rabastenaises et Rabastenais. Cette anecdote, sans doute la plus marquante de sa carrière, c’est son coach qui va nous la raconter de son point de vue.
En 2015, Christophe Bouzigues, Jérome Zanibelato et moi-même nous sommes partis quinze jours au Costa Rica grâce au cousin de Christophe, Cyril Bergues, qui s’occupe d’une agence de voyages. Nous avons fait un périple rugbystique en plus des visites culturelles, où on faisait le tour des clubs, on assistait aux matchs et aux entrainements. A la fin du voyage, nous devions avoir une réunion au Stade de San José, avec 2/3 entraineurs pour échanger autour de nos visions du sport dans les deux pays. Finalement, on s’est retrouvés à 50 avec des joueurs et l’entraineur de la sélection nationale féminine. Par la suite, il y avait un match des séniors auquel a participé Andrès et c’est là que s’est fait le premier contact. Deux ans après, le projet a abouti.
Ce projet trottait dans sa tête depuis longtemps. Il s’est d’ailleurs beaucoup préparé, grâce aux tournois et aux conseils d’Eric notamment. Les deux hommes ont alors envisagé sa venue après toutes les échéances sportives qui l’attendaient au Costa Rica. Le 11 décembre 2017, il pose le pied sur le sol parisien. Un rêve qui prend alors forme, avec des objectifs clairs : parfaire sa posture de rugbyman mais aussi ramener chez lui une expérience qui pourra aider au développement du rugby costaricain.
Les premiers pas en France
A son arrivée, Andrés était déjà en contact avec des Français qui avaient fait leurs études à San José, cela lui a ainsi permis de visiter notre capitale. Cependant, la barrière de la langue a été la première difficulté rencontrée, face à des parisiens « distants » au premier abord. Le 17 décembre, il atterrissait à Pau, puis directement à Rabastens. Un dimanche, jour de match. Un premier contact avec les supporters, les joueurs, le vestiaire, une première approche de la culture rugby en France. Un sport qui mêle les plus jeunes avec les moins jeunes, une tribune remplie, des gens qui chantent, une véritable passion qui l’a marqué, lui qui avait débuté par le football au départ.
Lors des premiers entraînements, il était question de faire bonne impression techniquement comme physiquement, gagner sa place en tant que joueur mais aussi en tant que personne « dans une équipe de copains ». Une intégration sociale favorisée par la personnalité du joueur décrit comme un garçon facile. Le rugby a été le langage commun pour passer au-delà de la barrière linguistique. Dès les premiers temps, il a ressenti les différences entre la pratique des deux pays, ici les bases du rugby sont travaillées et bien ancrées chez les joueurs, beaucoup de mecs sont à l’entraînement, les techniques de jeu sont élaborées. Au Costa Rica, la part est donnée à l’individualité. Tu es bon ? Prends le ballon. Mais ce rugby-là véhicule encore quelques valeurs dont on pourrait s’inspirer : les joueurs paient l’électricité pour s’entrainer, même pour deux joueurs, ils financent leurs déplacements. Le rugby est bien un sport de copains, avec un ballon au milieu et ça se vérifie.
Sa saison est lancée, les matchs s’enchainent, avec toujours le même rituel le jour précédent : « J’écoute toujours le même morceau, c’est de la musique classique, la 9e symphonie de Dvorak. Ce morceau me fait penser à un ami d’enfance qui a accompli son rêve de devenir violoniste sur cette musique. En jouant en France, j’accomplis le mien ». Ça sera sa seule routine d’avant match, habitué à montrer l’exemple avec ses équipes passées pour les jeunes joueurs, pas de nervosité, il faut se montrer prêt et faire abstraction de toutes émotions. C’est avec cette physionomie qu’il abordera la finale disputée avec Rabastens. Une finale qui se disputera dans le fameux Stade Maurice-Trélut où ont évolué des joueurs comme Philippe Dintrans, Thierry Janezeck et Colin Charvis (oui oui lui-même). Andrés n’y croit pas, il avait visité les lieux bien avant de savoir qu’il pourrait se trouver sur le terrain en se disant : « Je ne m’imagine pas jouer un jour dans un stade comme ça. » Le hasard fait bien les choses. Après le coup de sifflet final, il se retrouve à nouveau dans les tribunes, où il s’était assis quelques semaines auparavant, cette fois avec ses coéquipiers, brandissant le drapeau de son pays. Symbole de la consécration après tant d’efforts, de sacrifices, de préparations. Une sorte de feu d’artifice
Je sens à ce moment-là ses yeux qui pétillent, lui qui a pris le risque de quitter son travail, ses études avec comme rêve de jouer au rugby en France. « C’est la fin d’une partie de ma vie ». Ces mots résument bien son aventure. La fin d’une histoire ou le début d’une nouvelle ? Toujours est-il que son point de mire est fixé sur son club actuel, et la route du Championnat de France. Tout en gardant en esprit les Jeux Olympiques d’Amérique du Sud avec l’équipe nationale à 7 qui se profilent au mois d’août.
L’entretien touche à sa fin. J’ai rencontré là un mec ouvert et agréable, une véritable source d’inspiration à qui je laisse le soin de conclure : « On n’a pas idée de ce qu’on peut découvrir, jusqu’au jour où on le vit vraiment. » Une poignée amicale avec les deux hommes, nous repartons chacun de notre côté. Rêve, entraide, solidarité, amitié, bonheur, des mots qui pourraient résumer cette entretien exceptionnel.
Quel est le joueur le plus drôle de l’équipe puis le moins drôle ? Le plus drôle il y a Arnaud Minvielle, il est fou ! On peut dire Benjamin Borrell. C’est la mascotte (rires). De l’autre côté ça serait Romain Soulan, il est toujours sérieux.
Quel est le joueur le plus râleur et le moins râleur ? C’est très dur ça, Benoit Susserre il bougonne tout le temps (rires). Sinon le moins râleur je dirais Aurélien Labadie.
Quel est le joueur le plus intelligent ? Je vais dire Nicolas Setzes, notre demi d’ouverture. C’est un jeune joueur de grande qualité, il est très bon dans le placement.
Quel est le joueur le plus coquet ? Adrien Bilhère ! Même le mercredi après l’entrainement, il sort toujours bien habillé.
Cite nous trois choses marquantes de ton passage en France : Les grenouilles, je n’avais jamais goûté et c’est quelque chose de célèbre. L’Histoire de France, j’ai vu des endroits construits depuis 1100 et même avant, alors que mon pays a été découvert en 1500. Voir des trucs comme ça, c’est fou ! Après, les gens. Surtout les gens du rugby avec la culture et la tradition.
Défini ton niveau actuel en Français : Pauvre (rires). Je pense que j’ai beaucoup progressé grâce à l’immersion, c’est devenu un besoin et pas une option.
Peux-tu nous donner une spécialité bigourdane : Le cassoulet ? (Ndlr : Pour sa décharge, il n’a pas encore goûté la Garbure…).
Est-ce que ton accent est un atout envers la gente féminine ? Je pense que oui (rires), quelques fois elles sont curieuses, c’est exotique. Pour le dire d’une certaine manière.
Cite-nous un rugbyman français connu et un rugbyman costaricain : J’en connais beaucoup, Chabal, Fofana ou Christophe Bouzigues (rires). Au Costa Rica, il y a Oscar Bogantes. Il a arrêté, il jouait 10. L’autre c’est Marlon Cerdas, il joue encore, c’est un troisième ligne.
Team Viscères
"Cite nous trois choses marquantes de ton passage en France : [...] Après, les gens."
C'est vraiment ce qui m'avait marqué là-bas, les Ticos sont terriblement ouverts envers les autres et réellement curieux de découvrir l'autre et sa culture.
En tout cas chouette article, pourvu qu'il continue à s'éclater.
Babalonis
J'aime ce genre d'article. Merci et bonne chance à lui pour la suite