25 ans sans se rencontrer
13h30. C’est à l’entrée du stade du Moulin de Rieumes que Bruno, « Monsieur entrée », m’attend avec une excitation toute particulière. Non pas de me voir, mais de vivre enfin ce derby à Rieumes. La rivalité entre les deux villages n’est que de 19 minutes en voiture et une vingtaine de kilomètres, mais comme un supporter rieumois le déclarait : "On est séparés de 20 minutes et à des années-lumières en même temps !" Ambiance. Les tribunes sont sous le regard de tous les anciens internationaux formés au Sporting Club Rieumois, qui ont leurs "statues" tout en haut. Ces internationaux, ce sont des certains Guillaume Boussès, Lionel Mazars, Jean-François Montauriol pour les plus récents, mais surtout Michel Billière et un personnage bien connu ici : Bernard Viviès.
Ces tribunes sont déjà pleines au coup d’envoi du match des équipes B, seules les places du bas, beaucoup trop ensoleillées, sont libres. On me le répète depuis mon entrée, mais ces deux équipes ne se sont pas rencontrées depuis 1994 à Rieumes, où à l’époque, beaucoup de ceux qui se trouvent aujourd'hui derrière les talenquères participaient au derby il y a 25 ans. C’est au détour de la buvette qu’un supporter m’explique que la rivalité entre les deux clubs, "c’est que sur le terrain ! Même si comme deux villages Vikings depuis longtemps, chacun pique les femmes des autres !" C’est à la réception d'après-match que je rencontre un petit bonhomme à moustache qui s’en va poser sa veste dans la voiture. "Je vais la poser parce que je me connais, je vais l’oublier !" Il s’agissait de Bernard Vivies, l’enfant du pays. Bernard a été l’une des pierres angulaires du SU Agen entre 1975 et 1985, avant de finir sa carrière au Rugby Club Nimois avec plusieurs sélections nationales à son actif. Le XV de France qu’il entraînera d'ailleurs entre 2001 et 2007 sous l’ère de Bernard Laporte, son ami depuis toujours. "Bernard est une personne formidable. J’entends des choses sur lui, mais c’est un vrai passionné du rugby. C’est mon ami évidemment, mais j’aimerais que toutes les personnes le rencontrent, sincèrement." Autour d’un verre, il me raconte que "pour rien au monde" il ne raterait ce derby qui n’est pas arrivé depuis 1994.
Rieumes, c’est mon club. Pour rien au monde, je ne raterais ce derby contre Lombez-Samatan. Sans Rieumes, il n’y aurait rien eu derrière pour moi, me lance Bernard Viviès.
Il a pris l’avion la veille de Paris, car il est encore à Marcoussis en tant que délégué du comité directeur lors des regroupements du XV de France, avant de repartir le lendemain rejoindre les Bleus. Mais c’est son neveu, Jérôme, fils de Christian qui a sûrement dû regarder le derby là-haut, qui me parlera le plus de la rivalité entre les deux équipes. Jérôme, l’ancien entraîneur et président du club quelques années auparavant déclare avoir "connu des derbys plus animés que celui du jour". Mais estime que "c'est bien mieux que ça joue au rugby aujourd'hui."
« - J’étais là lors du dernier derby qui a eu lieu en 94. Je vais te dire un truc… Je m’en souviendrais toujours, on menait, on tape une dernière pénalité pour élargir le score. On la manque, ils nous foutent une relance de 100 mètres, ils marquent et on perd sur ça ! Les boules !
- Vous lui en avez voulu à celui qui a tapé ?
- Non... Parce que c’était moi ! »
Les tribunes de Rieumes, sous le regard des anciens internationaux en haut. Crédit photo @LeRugbynistère
Le match
1400 personnes autour du terrain, 250 repas dans le gymnase réquisitionné pour l’occasion et les supporters continuent de pousser derrière leurs équipes respectives. L’équipe B rentre sous les fumigènes bleus et blancs du club de Rieumes et donnera le ton pour leurs équipes fanions avec un carton rouge en seconde mi-temps suite à une échauffourée. Un "Je l'avais dit !" s'échappe de derrière les barrières. Mais c’est bel et bien Lombez-Samatan qui remporte la première bataille du jour avant l’entrée des gladiateurs des équipes premières. "Là c’est le vrai derby, là il y aura du combat je te le dis" lance un supporter Lombézien. Sous cette chaleur, les impacts impressionnent : une rencontre sur chaque ballon entre des chars d'assauts. Et c’est au terme de 10 minutes dans son camp que le Sporting Club Rieumois l’emporte sur le score de 28 à 21. Cette victoire leur permet d'accrocher une 5e place pour espérer plus tard une éventuelle qualification. Lombez-Samatan conserve sa seconde place de la poule, à 7 points devant Rieumes. Ce fut un beau combat, mais la suite en est un meilleur.
Amis dans la vie, ennemis pour le derby
L’histoire de ce derby 2.0 est celle d’un groupe de potes. Pas un groupe de potes du même club, mais des potes de chaque village qui se retrouvent sur le terrain, en ennemis. Ilan, Hugo et Mathieu côté Rieumois, Delby, Lilou et Bryan chez les Lombéziens. Ces amis n'étaient même pas nés la dernière fois que Lombez-Samatan est venu à Rieumes et pour l'occasion, ils se sont même retrouvés la veille autour d’un repas où les premiers paris sur le lendemain étaient lancés. Depuis l’annonce de la poule 6 de Fédérale 2, les deux groupes se promettent une bataille sans fin et quelques coups bas "si possible". La preuve à la fin du match avec une discussion sur le duel entre Ilan le numéro 8 Rieumois, et Delby le centre Lombézien dans laquelle chacun prêche pour sa paroisse dans la victoire de ce duel. "Il m’est venu dessus, à l’impact j’ai reculé, mais il est tombé. Donc j’ai gagné le duel, moi je suis resté debout ! Vous y connaissez rien au rugby sans rire" lance Delby autour d’un verre. Au coup de sifflet final, c’est la photo traditionnelle du groupe de potes même si encore une fois, Delby le Lombézien refuse de parler à Ilan :
" - Je t’ai dit quoi ? On est ennemis jusqu’à 17h30." lance Delby
" - Mais le match est fini !
- Oui mais il est quelle heure ? 17h26 ? Bah voilà, dans 4 minutes on est potes. »
Les 4 minutes passées, direction la buvette pour s’imprégner de ce derby, où les anciens viennent féliciter les petits jeunes même s’ils ne sont pas du cru comme Hugo, «le petit Solyga», qui a joué toute sa vie à Rieumes et qui n'a jamais connu la dernière venue de l'ennemi Lombézien à Rieumes en 94 car Il est né "l'année de la première étoile française au foot". Suite à la réception, les deux équipes se rejoignent au bar du défunt Marc Mazars, père de Lionel qui a récupéré l'affaire. La soirée continuera jusqu’à très tard pour le groupe d’amis, qui, une dizaine de minutes après le match ne parleront plus de rugby ou de derby, mais continueront d'entretenir leur amitié de fort belle manière. Et qui sait ? Dans 25 ans, ils parleront encore de ce derby.
PeeJohn
Plaisant à lire, alors à vivre, avé l’assent et les rrr qui roulent comme une barrique vide en fin de troisième mi-temps, on imagine !
cahues
Rafraichissant ! le rugby reste un magnifique moment pour se retrouver.