Le rugby est en plein expansion de l'autre côté de l'Atlantique, et Thierry Daupin est là pour nous le prouver. Ce Français de 37 ans a débuté l'ovale du côté de Nimes, à l'âge de 12 ans. "J'étais ce genre de gamin hyper actif qui avait un trop plein d'énergie et le rugby a été une formidable façon d'apprendre à me canaliser. J'ai appris à faire confiance aux autres". Vice-champion de France Crabos, à l'époque où le club gardois évoluait encore en 1ère division, champion de France à XIII avec le STAPS, convoqué pour des stages avec France U19, c'est une grave blessure à l'épaule qui va remettre en cause une carrière chez les professionnels. Mais pas son amour pour le rugby.
Aujourd'hui co-propriétaire et directeur général de Huns Rugby Management, l'ancien coéquipier de Thibaut Privat nous raconte son aventure.
Hello Thierry ! La première question est toujours la plus simple : raconte-nous comment tu t'es retrouvé aux Etats-Unis.
Pendant mes etudes au STAPS, j'ai eu la chance de faire du windsurf à haut niveau après ma blessure et j'ai change de cap... Du coup après mon master, j'ai commencé à travailler dans le marketing sportif, mais plus axé vers les sport de glisse. J'ai travaillé dans une petite agence et le Directeur Marketing d'Oxbow cherchait un nouveau team manager pour les athletes : du jour au lendemain, je me suis retrouvé à gérer le team international de la marque (Laird Hamilton, Jean Michel Bayle, Jason Polakow, Kai Lenny...)
Ce fut une aventure incroyable et je me suis retrouvé à voyager autour du monde pour gérer ces sportifs puis, au fur et à mesure, gérer l'ensemble du sport marketing pour la marque. En 2008, j'étais en route pour Hawaii pour un photoshooting et dans l'avion, je me suis retrouvé assis à côté d'une très jolie Américaine... qui rentrait chez elle sur Oahu. On a fait connaissance et... un an plus tard, on s'est mariés. J'avais le choix de rester en France et de la faire venir ou de m'installer a Hawaii... J'ai choisi Hawaii.
La suite, c'est quoi ?
De là, j'ai pu continuer à travailler avec Oxbow en Freelance, mais cela m'a permis de travailler sur d'autres projets aussi. Je pensais que j'allais aller surfer tous les jours. Et là, je rencontre des Françaises qui me disent qu'elles jouent au rugby... Hawaii ? Rugby ? Cela faisait 10 ans que je n'avais pas joué, mais le bug est revenu... J'ai commencé à jouer pour les Hawaii Harlequins et on a construit un grand groupe de joueurs. En 2013 et 2014, le club gagne deux titres d'affilée (10 équipes engagées). C'était incroyable pour ce club qui ne jouait que contre des Polynésiens : on est au milieu du Pacifique, et il y a énormément de Tongiens, Samoans, Fidjiens... Des monstres. J'ai appris un autre rugby très physique (Sourire).
Vu mon CV en marketing sportif, à ce moment là, on a vraiment dynamisé la communication autour du rugby à Hawaii. Les clubs des US ont commencé à vraiment s'intéresser à nous. En 2014, j'ai été en contact avec les Austin Huns et d'autres clubs qui voulaient me faire venir pour jouer pour eux. On venait d'avoir un bébé et on voulait se rapprocher de la famille de ma femme, ainsi que de la France. Après une visite sur Austin... j'ai vu le potentiel de la ville, du club et des investisseurs. Ce fut décidé : on vient s'installer !
En mars 2015, on arrive sur Austin et une nouvelle aventure commence.
Et comment es-tu finalement devenu le directeur général du club ? Dis-nous en un peu plus sur celui-ci !
En arrivant, j'ai joué pour le club en tant que 10, puis j'ai commencé à les aider en marketing et sponsoring : en 6 mois, on multiplie par 4 les revenus des sponsors et les investisseurs du club sont venus me voir pour comprendre comment développer le club et devenir l'un des premiers clubs professionnels aux US.
Il a été créé en 1972, et a toujours été connu comme un grand club en terme de licenciés : quand je suis arrivé, on était le 3ème plus grand club du pays avec 130 licenciés hommes. Ils avaient une équipe en chaque division (D1/D2/D3) et une equipe de +35 ans. En 2007, des investisseurs et passionnés ont acheté 14 hectares de terrain pour le club. C'est un des seuls clubs aux US qui a sa propre propriété. Et surtout, on est à 10 minutes du centre d'Austin.
Aux Etats-Unis, la Division 1 est le plus haut niveau. Maintenant il y a le Pro Rugby... mais à voir, car ce sont les mêmes joueurs. On joue par conférence, car le pays est tellement grand... Rien que le Texas, c'est plus grand que la France. Les clubs recrutent des joueurs du monde entier, qui ont un statut de semi-pro. Pendant longtemps, les clubs offraient le logement, un peu de cash et c'est tout. Qui n'a pas envie de venir aux US pour une saison juste pour le fun ? Le niveau dans chaque équipe est très different : tu as des joueurs qui ont joué en Premiership anglaise, Pro D2 française, ITM Cup, Top League au Japon... Et juste à côté d'eux, il y a des mecs qui commencent à jouer à 24 ans car l'Université est terminé et ils n'ont pas été drafté en NFL, NBA ou autres. Chaque club peut avoir 5 étrangers max sur la feuille de match.
Tu ressens que le rugby est en plein essor aux Etats-Unis ?
Sincèrement, le rugby aux US explose. Il y a plus de 2500 clubs, 1,4M de personnes qui jouent au Rugby, 20M de supporters donc 5M de fans. Le seul problème pour l'instant, c'est que tout le monde travaille dans son coin... mais ça change. Pendant longtemps, les clubs se complaisaient dans leur statut amateur et les Old Boys qui dirigent les clubs le font encore comme en 85-90 en France, mais ça aussi, ça change très rapidement ! Pro Rugby et Doug Schoninger ont secoué le cocotier. Ils sont venus et ont pillé tous les clubs, et du coup tout le monde est très énervé. Tous les clubs se transforment. Lors des 6 derniers mois, ils ont commencé à faire signer des contrats avec les joueurs, ils créent un environnement plus professionnel.
De notre côté avec les Huns, on a commencé par créer une vraie marque autour de l'équipe il y a 6 mois, puis on a commencé à recruter des joueurs clés. Ensuite, on a créé un partenariat avec le Racing 92 et on va commencer à travailler avec eux. On a signé Todd Clever - le capitaine de la sélection nationale - pour avoir une tête d'affiche. On vient de signer le Head coach des Baby Boks (U19), Eugene Eloff, et on recrute une équipe de coachs autour de lui. Notre budget va passer de 200K à 1,6M en septembre, et je pense que ça va grimper très rapidement.
Avec le Racing, nous allons dupliquer leur centre d'entraînement et leur académie sur Austin. En septembre, on recrute une quinzaine de joueurs avec un niveau international. Enfin, on construit un complexe avec un stade de plus de 10 000 sièges. On vient de créer l'école de rugby : on a eu 185 enfants pour la 1ère saison, et on va sûrement doubler l'année prochaine. Notre but, c'est d'en avoir 600 en 2018, avec trois écoles différentes autours d'Austin. On intègre aussi un club de féminines, du coup cette année, on est passé à plus de 350 licenciés.
On évoquait tout à l'heure le Pro Rugby... Tu peux nous en dire plus ? C'est une bonne idée ? Quid de son succès ?
Le quid du championnat Pro... c'est justement le quid. On ne sait pas pour l'instant, je pense que ça aide vraiment à bouger tout le monde car maintenant, tous les clubs se sentent attaqués. Du coup, c'est bien pour nous, pour rameuter les troupes. Tous ces clubs qui se sentaient champions de leur quartier ont reçu un bon coup de pied au cul. Maintenant, certains clubs - dont nous faisons partie - voulaient rejoindre la League mais le propriétaire ne veut pas ouvrir aux autres, et pensent qu'il peut gérer tout tout seul. Et surtout revendre l'ensemble pour un max de cash dans quelques années. Aujourd'hui, les stades sont vides et le nombre de vues autour des retransmissions ne sont pas terribles : à voir...
Je crois beaucoup aux clubs avec une structure commençant par l'école de rugby et grimpant jusqu'à l'élite avec une vraie fan base et une histoire, comme le modèle européen. Sur Austin, on avait 2000 personnes à nos matchs, alors que nous jouions encore sur un terrain sans gradins. Mais le futur est brillant : d'autres clubs se structurent, Houston et Dallas construisent des stades et d'autres projets aux US arrivent aussi... C'est vraiment incroyable.
Ton quotidien, c'est quoi ?
C'est travailler sur la structure du club, et trouver les bonnes personnes pour monter ce projet à bien. Trouver les bons sponsors, les bons investisseurs... C'est le bon moment d'investir car c'est abordable... Dans 10 ans, ce sera différent. Je pense sincèrement que nos budgets seront plus importants qu'en Europe.
Si un joueur français se retrouve sans club chez les pros, tu lui conseillerais de venir aux US ?
On est en contact avec de nombreux joueurs. Venir aux US maintenant, c'est faire la conquête de l'ouest version Rugby... Tout est à construire. Tu n'arrives pas dans ton joli vestiaire de suite, c'est retour aux sources mais avec un potential incroyable. Le rugby US a besoin de personnes avec un vécu rugbystique, mais aussi business.
Et selon toi, comment le rugby doit-il se développer ? Qu'est-ce qui peut faire sa force, dans un paysage sportif embouteillé ?
Je pense qu'il faut jouer sur ses forces : 2500 clubs, ce n'est pas rien... Il faut avoir des conférences par régions. Tu peux imaginer que la région sud, c'est le top 14, la côte pacifique c'est le Pro 12, etc. Ensuite, on ferait comme en Europe avec une Champions Cup et une Challenge Cup. Ça se met en place et cette année cela va ressembler à ça. Ensuite il faut du spectacle sur le terrain mais aussi en dehors et une diffusion de qualité. On a besoin que la Fédération investisse un peu avec nous. Là aussi, on avance, et au final, on pourra voir 50 à 60 équipes professionnelles.
Une force du rugby c'est que justement, c'est le seul sport planétaire à ne pas avoir encore été développé de manière pro aux US. Avant, les droits TV bloquaient tout mais maintenant, avec internet, tout le monde a accès au rugby aux US. Evidemment, avoir le 7s aux JO va beaucoup aider. J'aimerais beaucoup que la France cartonnne mais il faut laisser gagner les US pour le futur du sport (Rires).
Enfin, dernière question. C'est la tradition pour terminer une rubrique du Rugbynistère des affaires étrangères : si tu as des anecdotes sur ton aventure, c'est le moment de te lâcher !
Mon 1er match à Hawaii... On joue contre une équipe samoa : j'ai vite compris ! La passe avant contact, tu dois vraiment la faire avant contact, car ils ne s'arrêtent pas, au contraire. L'arbitre aussi est samoan, donc c'est le jeu... Et les lignes arrières, il n'y en a pas : ils font touts 130 kilos. Au début, ça pique ! Autre anedocte sympa avec Hawaii c'est que ça attire du monde et j'ai pu rencontrer des joueurs de légende qui sont devenus des amis comme Murray Mexted ou Stephen Larkham. On a aussi fait face au Haka de l'équipe militaire All Blacks.
Dans le côté délire, on a fait un calendrier dieux du stade made in Hawaii et c'était bien fun.
Crédit vidéo : Eclectik Sport
Enfin, tu découvres de tout dans le paysage rugbystique américain, mais le rugby c'est une famille, c'est encore bien vivant ici. Et les 3èmes mi-temps sont encore bien présentes.
Yann Béli
Très intéressant ! C'est typiquement ce genre d'articles qui font la valeur ajoutée de votre site.
J'ai vu un commentaire demandant ce qu'il en était en Russie ou autre ; la Russie je ne sais pas, mais j'ai un ami qui a joué en Serbie et en Pologne. Je suis là si vous voulez le contacter.
quentin2dakar
Bon, qui faut contacter pour aller faire un tour là-bas ?
Vae Victis Brennos
Bon bah c'est assez intéressant, même si le fait qu'il y'ai qu'un point de vu ne permet pas de tout à fait comprendre la situation. Enfin bravo, parce que c'est très intéressant ! Si vous avez le même genre avec la Russie ou un pays de genre, go on ! N'hésitez pas une seconde !!
Ensuite, sur ce qu'il dit, c'est intéressant, même si pour moi, c'est exactement ce dont ne doit pas faire : à savoir une ligue toute puissante et qu'on se retrouve avec NBA (ou NRL) version rugby (à XV). Les sudistes sont garant de cela, et je pense que c'est vraiment la pire chose qui pourrait tomber sur notre rugby... Après, le développement du rugby au USA et aussi une bonne chose dans la popularisation et l'ouverture de ce sport, c'est un écran pour les autres pays !
Voila finalement une raison de plus pour moi d'aimer encore un peu plus le rugby à sept par rapport au XV...
mimi12
Ces chroniques sont toujours aussi passionnantes !
olim
Bon article de fond.
Ça fait du bien au milieu de toutes les vidéos de "gros placage", "superbe essai" et "arrêt buffet".