Julien Treu - Le Rugby à Istanbul, Turquie
Rugbynistère des Affaires Etrangères - Julien Treu d'Istanbul
Les yeux brillants et les poches vides, ils nous ramènent une belle épopée rugbystique qui nous vient de Turquie.
Après un dangereux périple vers des contrées lointaines du monde de l’Ovalie, voici Thierry DuRoutard & Tana Plinlaevalis de retour en terre civilisée. Les yeux brillants et les poches vides, ils nous ramènent une belle épopée rugbystique de Turquie. Leur homme s’appelle Julien Treu, un français au parcours hors du commun, fier ambassadeur du Rugby hors de l’hexagone. Il nous offre d'ailleurs à la fin de cet article une vidéo sur l'un des tout premiers derbys du Bosphore, qui nous l'espérons, verra encore dans longtemps s'affronter les clubs de rugby locaux.

Julien Treu - Le Rugby à Istanbul, Turquie

Thierry Duroutard : Salut Julien ! J'ai entendu dire que tu avais un profil plutôt atypique et qu’il fallait absolument s’entretenir avec toi. Peux-tu te présenter ?

Bonjour le Rugbynistère ! Donc je m’appelle Julien et viens de Pornic dans l’Ouest de la France. J’ai fais mon école de rugby là-bas où un éducateur m’a transmis la passion du sport, tout ça dans une ambiance vieille école rugby traditionnel. En 1998, je suis parti travailler à l’étranger, en Irlande, dans les call centers. Forcément, la première chose que j’ai faite en arrivant là-bas a été de trouver un club, ce qui m'a permis d’avoir une vie sociale pleine. Je parlais déjà plutôt bien l’anglais : mon père étant hollandais, on parlait anglais lors des réunions familiales de ce côté là de la famille. Mais c’est vrai que l’anglais des vestiaires m’a posé un peu plus de problèmes ! Je suis resté 4 ans en Irlande, après quoi je suis rentré en France pendant deux ans sur Orléans.


Tana Plinlaevalis : d'abord, le rugby en Irlande, c’était comment ?

Pour tout vous dire, j'ai joué pour le club de Clontarf à Dublin. C’est un club de première division irlandaise, le club d’où vient Brian O’Driscoll. Il faut savoir qu’en Irlande, d'un côté il y a les clubs où les joueurs ne sont pas payés, mais où ils ont quand même certains avantages comme celui d’être logés et de toucher des primes de match ; puis de l’autre côté les provinces où les joueurs sont sous contrat pro.

Côté personnel, je jouais troisième ligne-aile en France mais j’étais trop léger pour les normes irlandaises ! Donc je jouais à l'aile là-bas. C’est seulement en Turquie que je suis revenu à mon poste de prédilection.

Après mon retour en France, je suis passé par la Hollande où j’ai vécu deux ans. Comme en Irlande, j’ai commencé par chercher un club de rugby et j’ai échoué au Rotterdamse Rugby Club (première division Hollandaise à l’époque). Pour vous raconter rapidement, le rugby en Hollande est aussi assez particulier, puisqu’en hiver les Hollandais pratiquent le rugby à 15, alors que l’été la plupart se prêtent au rugby à XIII. Comme j’avais déjà le passeport hollandais, j’ai eu la chance de jouer pour l'équipe nationale de rugby à XIII, et de représenter le pays sur 2 matches : contre la Géorgie et contre l’Ecosse. C’était des matchs de qualifications pour la coupe d’Europe, joués tous les deux en Hollande, et qui m’ont laissé de supers souvenirs. C’est après ça que je suis parti en Turquie.

T.D : Donc tu habites maintenant en Turquie où tu as continué le rugby. Comment s’est passée ton arrivée là-bas ?

Mon arrivée à Istanbul s’est très bien passée : j’ai découvert un pays magnifique où je me suis plu assez rapidement. Ce qui m’a surtout frappé c’est combien les gens sont aimables et accueillants, ce qui en fait un pays très agréable à vivre. Une nouvelle fois, la première chose que j’ai faite a été de trouver un club de rugby : le « Kadiköy Ragbi Kulubu », qui se situe sur la rive Anatolienne (donc Asiatique) d’Istanbul. Ici je me permets de faire un point rapide sur la géographie d’Istanbul, qui est une ville séparée par le Bosphore, ce détroit qui sépare le continent Européen du continent Asiatique.
Pour en revenir au club de Kadiköy, il s’agit du premier club de rugby officiel en Anatolie, qui avait été créé 2 mois avant mon arrivée par des étudiants mordus de rugby. C’est en me rendant au premier entraînement que je me suis rendu compte que nous partions de très loin et qu’il manquait clairement un coach au club.

Il y avait bien un autre club à Istanbul, sur l’autre rive du Bosphore, fondé par un français qui l'avait avait appelé « les Ottomans » (Ottomans Rugby Club). Il s’agit du premier club de rugby de Turquie situé côté européen. A savoir que Kadiköy est en fait le premier club de rugby côté Anatolien, créé par un ancien joueur des Ottomans, ce qui a bien naturellement entraîné la rivalité nécessaire à tout derby entre Kadiköy et les Ottomans. Le club des Ottomans étant très loin pour moi - je devais passer trois heures dans les transports en commun rien que pour assister à l’entraînement - j'ai rejoint le club de Kadiköy.

La distance n’est pas le seul point noir du rugby à Istanbul. Il faut savoir qu’en Turquie il n’y a pas de politique sportive publique véritable, donc pas de terrain de rugby à proprement parler, ni même de terrain de foot que les clubs pourraient utiliser ! Les seules pelouses que nous avons pu trouver sont privées et appartiennent aux grands clubs de football. Il ne nous restait donc que les terrains en revêtement synthétique qu’il faut sous-louer et réserver à l’avance, à des prix assez élevés d’ailleurs. Pour des étudiants, il a donc fallu se faire une raison… Le club a disparu en moins d’un an. Je me suis ainsi résigné à rejoindre les Ottomans malgré la distance.

Je me rappelle d’un fait qui m’a vraiment marqué, c’était durant mon premier match officiel : Kadiköy VS Bakirkoy en 2007. En plein milieu du match, alors que je m’apprêtais à prendre un départ de 8 côté fermé, retentit l’appel à la prière venant de la mosquée du quartier. Les joueurs ne se sont pas arrêtés de jouer, et nous avons continué, bercés par les chants de la mosquée. Inoubliable ! T.P : Tes débuts dans le Rugby Turc ont donc été plutôt mouvementés !

En effet ! En plus de m’entraîner, j’ai pris goût au coaching. Je venais deux heures avant l’entraînement des Ottomans pour y entraîner l’équipe junior de l’IRC, la première école de rugby privée créée cette année là, grâce à l’ancien coach de Kadiköy. Ça a duré trois ans. On a évidemment pris des tuiles la première saison, puisque nous ne partions de rien, mais après un peu d’abnégation et beaucoup de travail, nous avons remporté le titre de champions de Turquie les deux saisons suivantes.

C’était une initiative complètement nouvelle en Turquie. Nous avions réuni tous les passionnés de rugby, dont certains travaillaient dans des écoles francophones. Nous avons alors monté un championnat junior de toute pièce (création de calendrier, des règles du championnat, nomination des arbitres, etc.). L’opposition s’est améliorée d’année en année avec l’apport de quelques enfants d’expatriés qui rajoutaient une touche technique et permettaient aux joueurs turcs de progresser plus rapidement.

T.D : Concernant ton parcours de joueur, trouvais-tu quand même la possibilité de jouer face à des oppositions intéressantes ?

Là était tout le problème. Comme je le disais tout à l’heure, je jouais parallèlement pour les Ottomans, mais les clubs de rugby turcs n'étaient pas aussi organisés et solidaires que nous l’étions au niveau des écoles de rugby. La fédération de rugby turque étant une fédération multisports (baseball, football américain, softball, rugby) et le rugby étant si nouveau, il n’y avait pas vraiment de soutien direct pour notre sport, donc aucun championnat senior. C’est pourquoi nous ne faisions que des matchs amicaux. Pour tout vous dire, je me souviens très bien de la saison 2010-2011 car nous n’avons joué que trois matchs, heureusement que j’avais l’école de rugby. C’est à partir de 2011-2012 que tout a changé, mais je dois vous avouer qu’on a connu trois années de galère au niveau senior avant ça…

T.P : Tout a changé radicalement du jour au lendemain, en 2011... Laisse-nous deviner… les Jeux-Olympiques ?

Exactement ! C’est au cours de la saison 2011-2012 qu’on a connu les plus grandes transformations, lorsque le rugby à sept est passé sport Olympique. Et comme la Turquie aimerait organiser les J.O de 2020, ils ont décidé de monter une équipe. C’est donc à ce moment là que les officiels ont embauché un Irlandais en tant que Directeur Technique National pour s’occuper de l’équipe de rugby, qu'ils ont créé un championnat en y apportant une certaine rigueur, et qu'ils ont commencé à promouvoir des formations à l'arbitrage et au coaching. J’ai donc passé mes diplômes de coach et d’arbitre « IRB » grâce à ça.

Pour illustrer ce changement éclair que nous avons connu en très peu de temps : sur la saison 2010-2011, il n’y avait que cinq clubs en Turquie, la saison suivante, nous sommes passés à 13 clubs. A ce moment là, il y avait presque trop de joueurs chez les Ottomans. Avec les anciens de Kadiköy qui avaient continué le rugby chez les Ottomans nous sommes retournés sur Kadiköy pour reformer le club. Nous avons alors participé à un championnat avec deux poules : une poule sur Istanbul et une à l’extérieur. Et, ô grand bonheur, pour l’année de la création du club, Kadiköy a terminé premier de sa poule et a battu les Ottomans sur une pénalité dans les arrêts de jeu - 23 à 22 - dans ce que nous appelons désormais le « derby du Bosphore ». Nous nous sommes hissés jusqu’en demi-finale où nous avons perdu contre les futurs vainqueurs de l’épreuve.

T.D : Extraordinaire ! Pendant ce temps là que se passait-il à l’échelle nationale ?

Alors pour vous parler un peu plus de l’équipe nationale, c'est en 2011-2012 que l’équipe nationale de Turquie de rugby à XV a vu le jour. On a alors commencé à faire des recherches sur les joueurs Turcs évoluant en Europe, afin de trouver du monde pour composer l’équipe nationale. Cependant, comme la fédération n’était pas membre de la Fédération Internationale de Rugby Amateur (la FIRA, organisme qui permet l’intégration des nouveaux pays à l’IRB), le pays n’avait pas la possibilité d’organiser des matchs amicaux sur son sol. Par conséquent, l’équipe est partie en tournée amicale en Slovaquie et en Estonie. Dans cette sélection Turque, j’ai eu le plaisir de voir évoluer deux joueurs que j'ai entraînés en junior à l’époque où je coachais les jeunes. C’est ma petite fierté d’entraîneur !

La Turquie a finalement organisé sa première compétition officielle sur son sol en Octobre 2012, à Antalya. C’est une région où il n’y a malheureusement pas de club, du coup l’engouement suscité était vraiment très faible. Presque personne n’est venu voir les rencontres tant la distance était grande (environ 700 Km d’Istanbul). La Turquie a joué contre la Slovaquie et l’Azerbaïdjan, et a remporté ses 2 matchs.

Malheureusement, cette même saison notre championnat turc a connu un coup d’arrêt. Les joueurs éligibles évoluant ici n’ont pas joué de l'année, et manquaient évidemment de rythme pour une rencontre internationale... Le sélectionneur de l’équipe nationale a donc été contraint de sélectionner la plupart de ses joueurs en Europe, sans que les locaux n'aient vraiment de chance équitable de concourir.

T.P : Veux-tu dire que le championnat des clubs n’a pas débuté ?

Effectivement. Nous sommes au mois de Décembre, et toujours dans l’attente du coup d’envoi de la saison 2012-2013. En 2011-2012, c’était le début de choses très prometteuses : il y avait un championnat, des matchs de poules, poules dont les deux premiers passaient en demie, puis en finale. La finale était même arbitrée par un arbitre de Top 14. Nous avons terminé premiers de la poule A (clubs d’Istanbul), mais avons perdu en demi finale contre l'équipe de Metu d’Ankara qui sera couronnée championne de Turquie à la fin de la saison : une belle première pour notre club. Nous nous étions fixé comme objectif de passer les poules, mission accomplie donc.

Mais cette saison c’est encore autre chose. On a repris les entraînements dès la mi-Août, et malgré la chaleur, nous étions très motivés. Afin de réduire nos coûts, le mercredi nous nous entraînons sur une pelouse face à la mer et le samedi nous louons un terrain de foot synthétique pour jouer. En plus de ça, forts de nos résultats de l’année passée, nous avons attiré beaucoup de nouveaux joueurs. Aujourd'hui à Kadiköy, nous comptons environ quarante-cinq joueurs licenciés, et sommes toujours une petite trentaine aux entraînements.

Malheureusement, parallèlement à ça, nous attendons toujours le championnat depuis Septembre… Cette année nous sommes passés à dix-huit clubs. Dix-huit clubs qui attendent leurs dates pour pouvoir commencer la saison. Du coup, nous avons organisé trois matchs amicaux pour se garder chauds, dont deux derbys du Bosphore, pour deux victoires de Kadiköy ! Ensuite Kadiköy a joué Ankara, que nous avons battu 18 à 5 pour une belle revanche sur notre demi-finale perdue l’an passé. En parallèle, nous arrivons dans la période froide, la neige va commencer à tomber, et le jeu devra s’arrêter le temps que l’hiver s’en aille, d’ici fin février au plus tôt… Le Rugby turc aujourd'hui compte énormément sur la FIRA pour l'aider à sortir de cette situation !

Ce qui est positif, c’est que le rugby s’ouvre sur les universités, qui commencent à monter des équipes. Mais l’impasse sur le championnat a eu pour conséquence de dissoudre de nombreuses écoles de rugby, notamment la notre car nous ne sommes pas en mesure d'offrir de match, ni de championnat à nos jeunes… Mon rayon de soleil personnel pour l’instant, c’est qu’il y a un mois environ, j’ai été contacté par Stéphane Castaignède, ancien international français et entraîneur du RC Ajaccio. Il va essayer de faire venir au RC Ajaccio le numéro 8 de Kadiköy qui jouait en équipe nationale de Turquie. C’est un peu une consécration pour le joueur ainsi que pour le travail de tous les bénévoles ici. T.D : On te souhaite bon courage avec tout ça en tout cas. Y a-t-il d’autres choses dont tu aimerais nous parler ?

Merci beaucoup. Oui, je voulais dire qu’un syndicat des clubs qui sera composé des présidents, est en train de voir le jour, afin d’essayer de fournir les bases à tous les clubs (coach, ballons, matériel). Il reste néanmoins très difficile de trouver du matériel adéquat en Turquie. J’ose demander que si un jour des joueurs français venaient en Turquie - que ce soit pour les vacances ou pour étudier car il y a beaucoup d’Erasmus - ils nous amènent des ballons, des maillots, des chasubles, on appréciera vraiment leur aide ! Nous serions ravis de les accueillir bien entendu !

De manière générale, concernant le rugby en Turquie, je pense que c’est un sport qui peut éclore et plaire à l’échelle nationale à tout point de vue. Ce que je note en particulier, c’est qu’il y a pas mal de lutteurs turcs qui rejoignent les équipes de rugby. En effet, la lutte turque ne se pratique qu’en été. Du coup en hiver, les lutteurs s’entraînent en salle de musculation uniquement, mais le rugby pourrait s’avérer être un bon substitut à la lutte. Les lutteurs ont du fait de leur sport des prédispositions au placage, et constituent naturellement de bons avants !

Aussi je voudrais profiter de cette interview pour remercier Lionel Girardi qui nous suit depuis maintenant 3 ans. A l’époque où l'on s’occupait des écoles de rugby, il nous avait apporté une aide pour la formation d’entraîneurs sur Istanbul, et m’avait suivi lors du projet de la création du club de Kadiköy. Nos bons résultats sont un peu aussi les siens. Alors, merci Lionel !


T.D & T.P : Merci de ton temps Julien, on s'est régalés à t'écouter !

Je vous en prie, chers ministres. A bientôt !

Références annexes :

Le site du club de Kadiköy
Un article sur la lutte turque

Une petite video de la rencontre Kadiköy vs Ottomans « le Derby du Bosphore » :

Merci à jules-henri.morel pour cet article ! Vous pouvez vous aussi nous soumettre des textes, pour ce faire, contactez-nous !

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  • lau1
    14812 points
  • il y a 10 ans

Content de voir que les joueurs de Clontarf s'exportent 🙂 et en gardent un bon souvenir.

Laurent (à la photo et chez les anciens) 🙂

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