DÉBAT. Quelle évolution et quel avenir pour la mêlée dans le rugby moderne ?
Quel avenir pour la mêlée dans le rugby moderne ?
Notre consultant mêlée et ancien professionnel, Alexandre Castola, revient sur l'évolution de la mêlée dans le rugby moderne.

VIDÉO. France - Irlande : quelles solutions pour la mêlée tricolore face au XV du Trèfle ?


Salut Alex ! On était partis pour analyser les mêlées du dernier Crunch, comme on le fait pour chaque match depuis le début du 6 Nations. Or, comme pour le dernier France - Italie, on se rend compte qu’il y a de moins en moins de choses à dire sur ce secteur...

Oui, c’est de plus en plus difficile d’analyser des mêlées. Dans un premier temps, on se rend compte que les équipes essaient d’être le plus propres possible, n’engagent plus un combat et une lutte acharnée sur ce secteur de jeu : je pense qu'elles ont peur d’être sanctionnées. Dans un second temps, on se rend compte que c’est stratégique : aujourd’hui, on se sert de la mêlée comme d’une phase de lancement de jeu.

Une évolution qu'on observe depuis plusieurs saisons dans le rugby moderne. Pour toi, on “désacralise” cette mêlée ?

Oui, en tout cas, on y accorde de moins en moins d’importance, quand justement, elle doit garder son importance dans le rugby. C’est une phase qui permet de marquer physiquement et psychologiquement ses adversaires. Si on prend le dernier match entre l’Ecosse et l’Angleterre, c’est vrai que le Chardon a réussi à battre les Anglais avec ses valeurs, en mettant beaucoup d’intensité dans le jeu. Et oui, les Anglais ont joué à l’envers, mais dans le passé, ce qui faisait leur force, c’était leur gros paquet d’avants, qui matraquait et usait ses adversaires. Est-ce qu’aujourd’hui, le fait de rester hermétique sur ses phases de jeu ne permet pas à certaines équipes, qui sont très portées sur le mouvement, de prendre le pas sur le gain du match ?

Quand on voit les Néo-Zélandais, tout le monde s’accorde à dire que ça joue très bien au rugby, mais n’oublions pas qu’ils passent beaucoup de temps sur ce secteur de la mêlée. Ils n’oublient pas ça. Et les joueurs qui affrontent les Blacks s’en souviennent...

Tu évoquais l’Angleterre. La France a également été longtemps dominatrice, redoutée en mêlée. Bien sûr, les maux tricolores sont plus importants, mais la période où la mêlée se retrouve moins centrale et décisive sur le sort d'une rencontre coïncide avec une période de résultats moins glorieux de nos Bleus. C’est lié ?

Je pense que oui. La mêlée fait partie de l’ADN du rugby français. Les Français aiment la mêlée et lorsque l’équipe nationale a fait des Grands Chelems ou de grandes prestations dans les matchs internationaux, il faut savoir que notre équipe avait toujours un gros cinq de devant, capable de prendre un ascendant psychologique. Alors, je ne dis pas que la mêlée est la clé du succès, mais elle y contribue.

Le corps arbitral est très strict vis-à-vis de la mêlée. On s’aperçoit qu’ils ne veulent plus s’embêter à prendre une décision écroulée, ou gagnée par une équipe. Soit une mêlée emporte tout, et ça facilite le travail des arbitres qui peuvent te récompenser, soit elle ne prend pas d’ascendant flagrant sur l’adversaire. Dans ce cas, ils ne sifflent pas et demandent au n°9 de jouer.

World Rugby veut du spectacle, et donc augmenter le temps de jeu effectif, d’où l’évolution des règles et ces consignes aux arbitres pour éviter que les mêlées ne durent trop longtemps. Est-ce que tu peux comprendre la démarche ?

Bien sûr que je le comprends. Et d’ailleurs, le rugby est beaucoup plus plaisant à voir aujourd’hui. Mais ce qu’il faut, c’est ne pas enterrer la mêlée, et trouver un équilibre. Les puristes sont malheureux de voir qu’elle passe au second plan. Or, n’importe quel spectateur lambda adore se lever et crier sur une mêlée qui emporte son vis-à-vis. C’est aussi pour ça que le XV est apprécié. Sinon, on en revient au XIII ! Attention, c’est un sport magnifique, mais là on parle du XV. Et la mêlée, c’est la base de cette discipline. Le XV, c’est le seul sport collectif d’affrontement qui permet d’être en première ligne avec les adversaires, et de s’expliquer.

Quelles solutions pour inverser la tendance ?

Pour trouver un équilibre, il faut, comme le demande le corps arbitral, respecter un règlement. Mais pour respecter ce règlement sur les mêlées devenues très techniques, il faut travailler. Il faut de la formation, que ce soit du développement physique ou de la technique, sur la posture ou le poste en lui-même. Si tout le monde travaille dans ce sens, avec plus de temps et un staff spécialisé… Ce ne sont pas les capacités des entraîneurs qu’il faut remettre en cause. C’est juste qu’ils n’ont pas le temps. Sur une semaine d’entraînement, il faut voir la touche offensive et défensive, la vidéo, les ballons portés, la défense sur ballon porté, le jeu autour du ruck, la défense autour du ruck, les réceptions de coup d’envoi… Or, la mêlée demande du temps.

Tu en sais quelque chose puisque tu as été entraîneur après l'arrêt de ta carrière.

Je me suis rendu compte d’une chose : pour progresser, le joueur ne doit pas être dans la compétitivité. Un entraîneur, qui fait les compositions d’équipe, juge les joueurs et crée automatiquement un fossé avec eux. C’est difficile pour un joueur d’aller le voir et de dire : “ça c’est mon point faible, il faut que je le travaille.” Il faut qu’une confiance se crée. Un intervenant spécialisé, qui viendrait donner son avis et des conseils, sans influer sur les choix d’équipe, pourrait nouer cette confiance. Il serait là pour partager, donner des outils.

Les entraîneurs ne sont pas fautifs. Ils sont pris par le rythme, la pression… Et tu ne peux pas non plus en vouloir aux joueurs qui veulent avoir leur place le week-end : c’est le système qui est comme ça.

Concrètement, on a donc besoin de temps et de travail spécifique pour retrouver de belles mêlées.

Pour valider un apprentissage, il y a quatre étapes. En premier, l’inconscient incompétent : tu ne sais pas que tu ne sais pas. C’est la découverte d’un geste, d’un posture, d’une technique. La deuxième, c’est l’incompétent conscient : tu sais que tu ne sais pas. La troisième, c’est le conscient compétent : ça veut dire que tu peux réaliser quelque chose, avec beaucoup de concentration, à l’entraînement, sans pression, sans fatigue. Mais dès que l’enjeu s’élève ou que le rythme cardiaque s’accélère, le geste ne sera pas automatisé. Ça demande beaucoup de travail et de confiance avec la personne qui s’en occupe. Tout ça pour finir sur la quatrième phase, le compétent inconscient, où le geste est automatique, même en match. Or, avec le système actuel, personne n’est patient et il manque beaucoup de choses aux joueurs.

Un travail quotidien, ciblé et cadré, pourrait amener quelque chose, aux entraîneurs comme aux joueurs. C’est fait en Nouvelle-Zélande avec Mike Cron, qui s’occupe de toute la formation néo-zélandaise : il passe dans tous les clubs et les franchises, pour donner une trame suivie par les entraîneurs. Aujourd’hui, en France, on n’échange pas trop. On travaille pour les clubs, pas pour l’équipe nationale.

Toi qui côtoies des jeunes piliers, comment vivent-ils cette évolution de la mêlée ? Parce que finalement, ce sont eux les premiers concernés.

Je ne crois pas qu’ils le vivent très bien. Les joueurs du cinq de devant sont des passionnés. Ils aiment la mêlée. Maintenant, échanger avec eux et leur faire comprendre le rôle qu’ils ont dans la mêlée, ça fait aussi partie du travail… L’humain est au centre du projet. Le gaucher ne va pas travailler comme un droitier. Avec toutes les vidéos qu’ils regardent, les mecs savent la bonne position à avoir. Par contre, ils ne s’entraînent pas assez pour l’automatiser...


Découvrez la suite de notre entretien ce samedi, avec une analyse du cas Rabah Slimani.

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  • Pianto
    56285 points
  • il y a 6 ans

je suis d'accord avec l'idée que la mêlée est un lancement de jeu. Si un ballon est jouable, il doit être joué. La mêlée comme machine à gagner des pénalités, je n'en veux plus.
Les règles actuelles visent à permettre de ressortir davantage de ballons des mêlées et tant mieux.

Je sais que mon avis est minoritaire, en particulier chez les anciennes générations où il est carrément inique mais c'est le direction que prend le rugby et il n'y a que la France dans le monde entier qui continue à vouer ce culte à la mêlée, la guerre est donc déjà perdue. Il faut voir à ne pas mettre dix ans à s'adapter aux nouveaux standards...

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