En s'interdisant de jouer dans son camp, le XV de France a-t-il trouvé la stratégie parfaite ?
En s'interdisant de jouer dans son camp, le XV de France a-t-il trouvé la stratégie parfaite ?
Personne n'en parle, sauf Shaun Edwards. On a quand même voulu vérifier ça, en visionnant à nouveau le dernier Pays de Galles - France.

Il faut attaquer balle en mains dans la moitié de terrain adverse. Ailleurs, c’est à mon sens très dangereux… Vous remarquerez d’ailleurs que les grandes équipes ne jouent jamais dans leur propre territoire…” Les mots de Shaun Edwards sont (presque) passés inaperçus, et pourtant. Dans les colonnes du Midi Olympique, le nouvel entraîneur de la défense a exposé ce qui se révèle comme une véritable philosophie du XV de France depuis le début du Tournoi des 6 Nations. Trois victoires en trois matchs à la clé, dont un succès majeur sur la pelouse du Principality Stadium de Cardiff.

La meilleure défense, c’est l’attaque ? Au-delà du poncif, on a voulu vérifier si la déclaration d’Edwards était un effet de com’, ou une stratégie des Tricolores qui auraient donc l’interdiction de jouer à la main dans leur propre camp.

En visionnant la rencontre face au Pays de Galles, voici ce que disent les chiffres : 34 ballons ont été à négocier dans le camp français, sur différentes formes de jeu (mêlée, touche, récupération dans un ruck, réception de coup de pied…). Et les Bleus n’ont attaqué à la main qu’à 5 reprises (seulement 15%). Soit le choix du jeu au pied à 85%.

Détail important : hormis le renvoi au 22 d'Antoine Dupont analysé plus bas, les relances à la main ont été réalisées entre la ligne des 40 et la ligne des 50, avec la défense adverse qui monte du camp adverse. Ne pas jouer au pied dans cette zone et dans ce contexte n’est donc pas “très dangereux”, pour reprendre les termes d’Edwards. Exemple concret en début de seconde période, avec un coup de pied réceptionné par Gaël Fickou, où le Parisien est à deux mètres de la ligne médiane, quand la ligne de défense galloise sort tout juste de ses 22.

Deux passes plus loin (Fickou pour Bouthier ; Bouthier pour Vakatawa), les Bleus sont à l’attaque dans le camp gallois. Le choix est bon puisque la collision aura lieu sur la ligne des 40, et que le Racingman gagne même son duel, aidé par Bernard Le Roux. En adaptant le plan de jeu à la situation, la France a avancé d’environ 30 mètres. Ci-dessous en jaune, la zone de ruck où Vakatawa a été plaqué.

Dupont comme Murray, la bonne entrée de Jalibert

Avec dix coups de pied (dans son camp) face au Pays de Galles, Antoine Dupont est le joueur français à s'être le plus servi de cette arme à Cardiff. Sur turnover, sur touche... Le demi de mêlée a beaucoup usé de son pied, notamment sur les fameux box kick qu'on attribue généralement à Conor Murray, le n°9 du XV d'Irlande. Preuve que le Toulousain sait s'adapter, et possède une très large palette, lui qui est d'habitude loué pour ses exploits ballon en main.

Autre joueur en vue pour son jeu au pied : Matthieu Jalibert. Le Bordelais n'a joué que quinze minutes, mais il a tapé cinq fois pour dégager le camp français, et soulager les troupes dans une fin de match tendue. Seul bémol pour son entrée en jeu, une pénalité manquée (77e) qui aurait pu faire basculer le match plus tôt.

Nombre de jeu au pied dans le camp tricolore : 

  • Dupont : 10
  • Ntamack : 8
  • Bouthier : 7
  • Jalibert : 5

Quatre cas particuliers à analyser

  • Cas n°1 - Le choix de l’alternance

Sur une chandelle, Alldritt capte le ballon sur sa ligne des 40. Le n°8 choisit de relancer à la main, plutôt que de jouer au pied, ou de solliciter Ntamack, présent à sa droite.

Sur le temps de jeu suivant, rebelote. Alldritt n’a pas gagné son duel, et les Bleus sont toujours dans leur camp. Mais choisissent de jouer à la main sur le petit côté avec Dupont et Bouthier qui mettent sur orbite Fickou, qui réussit à franchir le long de la ligne de touche… Les Bleus entrent dans le camp gallois.

Toujours sur la même action, alors que les Bleus ont reculé sans réussir à forcer le verrou de la défense des Diables Rouges, le jeu au pied est finalement choisi. Cette fois-ci, Ntamack est sollicité. Le choix de l’alternance est le bon : sur la chandelle du Toulousain, Teddy Thomas gêne Leigh Halfpenny, et Anthony Bouthier va marquer le premier essai du match.

  • Cas n°2 : l’exception Alldritt

Consigne donnée par le staff ? Toujours est-il que l'Auscitain est celui qui a le plus attaqué à la main dans le camp tricolore. Logique, puisque le n°8 n'est pas exactement réputé pour son jeu au pied. Parfaitement placé dans le second rideau, il peut relancer avec comme objectif de fixer la défense, mais surtout de gagner son premier duel pour mettre son équipe dans l'avancée, et permettre à Dupont d'éjecter rapidement.

  • Cas n°3 : Dupont met le feu… mais calme le jeu

S’il y a bien un joueur français capable d’improviser pour mettre le feu, en mettant de côté les consignes, c’est bien Antoine Dupont. Et si on a vu qu'il avait beaucoup usé du pied, le n°9 a bien tenté de déstabiliser les Gallois à la 21e minute de jeu, sur un renvoi aux 22. Vite joué, et à la main !

Las, les hommes de Wayne Pivac ont été vigilants. Si Ollivon est venu aider son demi de mêlée, et que ce dernier sollicite à la main Paul Willemse, les Bleus n’avancent pas. Dupont calme le jeu, et choisit finalement le jeu au pied.

  • Cas n°4 : la touche

Les Bleus n'ont eu que quatre touches à négocier dans leur camp (dont une sur un mauvais lancer adverse). Les consignes sont passées, et la charnière s'occupe de dégager pour retourner la pression. Exemple ci-dessous, avec une chandelle de Romain Ntamack à la 45e. Le même choix de jeu sera effectué à la 60e.

L'action suivante n’est pas comptabilisée dans les statistiques, car le lancer de Julien Marchand s’effectue dans le camp gallois, mais la ligne de 3/4 est disposée dans le camp français. Entourée en jaune, la ligne médiane.

Et c’est une nouvelle fois Alldritt qui est sollicité après un pivot de Ntamack. Las, attaquer à la main ne se révèle pas comme le bon choix : les Bleus sont stoppés au milieu du terrain, puis pénalisés pour ne pas avoir sorti le ballon. 

A la 61e, les Bleus effectueront la même combinaison, au même endroit du terrain (avec Camille Chat au lancer). Cette fois-ci, Alldritt fixera la défense sans se faire pénaliser.

Le détail des actions dans le camp français

Phase de jeu Choix Nombre Joueur
Récupération jeu courant Jeu au pied 3 Dupont (2)
Jalibert (1)
Touche Jeu au pied 4 Dupont (2)
Ntamack (2)
Renvoi au 22 Jeu à la main, puis pied 1 Dupont (1)
Mêlée Jeu au pied 1 Jalibert (1)
Réception coup de pied Jeu au pied direct 12 Bouthier (7)
Jalibert (3)
Ntamack (2)
Jeu au pied 2e temps de jeu 4 Dupont (3)
Ntamack (1)
Relance à la main 4 Alldritt (2)
Fickou (1)
Bouthier (1)
Réception coup de pied de renvoi Un avant capte le ballon, puis jeu au pied 5 Ntamack (3)
Dupont (2)
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Ca c'est le rugbynistère que j'aime! Une belle analyse bien illustrée et documenté sur le travail de la charnière. J'ajouterai juste qu'avec Bouthier et Thomas on a 2 joueurs qui monte très vite sur les chandelle et perturbe énormément les receptionneurs.

J'avais mentionné dans un commentaire précédent le role de fixation de Aldritt, vous le confirmer par les chiffres 😉.

C'est bien aussi que Dupont ajoute de l'incertitude dans la défense en sortant du cadre de temps en temps. J'avais aussi mentionné dans un autre article que ses raids á répétition, que l'on aime tant voir, ont tendance à user ses partenaires et leur faire perdre leur repère. Du coup en l'utilisant avec modération il en sera d'autant plus dangereux.

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