Pendant notre entretien pour recruter le nouvel entraineur de Fidji, Ben Ryan avait un large sourire, une gentillesse et une modestie touchante mais surtout il connaissait le jeu fidjien mieux que tout autre candidat et même encore mieux que les candidats fidjiens eux-mêmes. C’est dans ce sourire, qui traduit le bonheur de partager la joie de vivre, que l’on trouve une des raisons principales du triomphe fidjien. Alors il fut le choix sans conteste, malgré la réticence de certains.
Fidji est la seule nation qui a vraiment sélectionné ses meilleurs joueurs pour les Jeux olympiques car les joueurs de rugby de Fidji sont les joueurs du peuple fidjien, ce ne sont pas les joueurs de présidents de clubs égocentriques. Ils sont nos amis, nos cousins, nos frères, nos fils ; notre Vanua (Notre Terre).
Rio 2016 - Les Fidji champions olympiques de rugby à 7, un titre historiqueLeurs valeurs sont celles qui séduisent tous ceux et celles qui approchent les joueurs fidjiens : Humilité, Tradition, Respect, qui donnent au rugby fidjien sa forte identité. Fasse que mon pays la France trouve ces valeurs et replonge dans ses racines, ses identités régionales avec ses langues, ses chants, ses danses ; c’est la leçon que la victoire des Fidji aux Jeux olympiques donnera je l'espère à mon pays. Sans forte identité et sans les rituels qui vont avec, une équipe ne peut pas être aussi irrésistible que Fidji Sevens.
Mais surtout fasse que les enfants jouent ! Le rugby fidjien qui a triomphé, c’est le rugby qui joue, qui est joyeux vers les 4 heures de l’après-midi dans tous les champs, les rues, les cours de récréation que l’on trouve à cette heure magique partout dans Fidji. C’est là qu’est le secret des magiciens, on joue au rugby à toucher pour rire, pour s’amuser et tous les éducateurs du monde doivent comprendre que le jeu cela ne s’apprend pas mais que cela se célèbre a travers le plaisir et la joie.
Crédit photo : Facebook Franck Boivert
Les enfants fidjiens futurs champions olympiques ont appris le rugby dans la joie du rugby à toucher, le plaisir de jouer, le jeu libre cher à Pierre Villepreux. Ce jeu libre engendre la gestuelle libre matrice de la créativité, de la magie qu’évoquent tous les journalistes pour illustrer le jeu fidjien.
Le génie de Ben Ryan, le coach, a été de s’assurer que les joueurs aient cet espace de liberté ballon en mains, et de mettre en place de solides bases en défense, en conquête et sur les points de rencontre là où l’âme guerrière fidjienne a trouvé son exutoire.
Les qualités athlétiques ont fait le reste, les Fidjiens, outre leur vitesse, ont de très grandes mains et une envergure de bras exceptionnelle ce qui leur permet d’attraper et passer le ballon dans les positions les plus acrobatiques. Les champions olympiques ont grandi pieds nus et cela explique les appuis qui déroutent les défenseurs.
Alors le jeu fidjien se déroule avec une efficacité redoutable car adapté aux qualités propres des joueurs. Le taux de marque (strike rate) est le meilleur de toutes les équipes, Fidji met peu de temps pour marquer car le ballon ne passe pas par le sol, c’est l’équipe qui fait le moins de mêlées ouvertes (rucks) et donne tout son sens à l’ancienne maxime de quelques techniciens français pour qui le ruck (mêlée ouverte) est un accident de jeu. Ce jeu était en voie de disparition aux Fidji dans la décennie dernière sous l’influence de techniciens étrangers mais aussi des joueurs partis jouer à l’étranger et perdant ainsi leur identité. Nous l’avons remis en pratique avec la Province de Nadroga dés 2010 et depuis la province phare du rugby fidjien, qui fournit la majorité des joueurs professionnels de par le monde, a régné sans partage sur le rugby de l'archipel et fait danser de joie nos supporters.
La suite du texte de Franck Boivert en page 2 >>
Mais cette capacité unique à faire vivre le ballon trouve son origine dans la formation de jeu libre qu’est le rugby à toucher. Le rugby à toucher se pratique partout dans le monde, mais à Fidji les règles sont particulières et je ne les ai jamais jouées ailleurs qu’à Fidji. Partout sur la planète ovale, le ballon change de camp au bout de 3 ou 4 "touché" parfois plus. Aux Fidji la balle change de camp sur 1 touche uniquement. Dans la formation du joueur, ce détail a une importance cruciale et prépondérante. Quand tous les joueurs de par le monde sont initiés au rugby par le touché ou le plaquage, il est rassuré dans sa prise de décision parce que si il est touché, au moins il n’aura pas commis de faute grave et il pourra rejouer le ballon.
Dans le rugby à toucher fidjien, non, le joueur ou la joueuse commet une faute grave quand il se fait toucher car le ballon est rendu à l’adversaire. Il faudra à ce joueur d’être bien plus alerte dans sa prise de décision, il faudra alors qu’il prenne vite des informations, que son champ de vision soit le plus large possible, qu’il sache où sont les défenseurs, ses soutiens, les espaces libres, il faudra qu’il développe une stratégie gestuelle très variée afin d’éviter au maximum l’adversaire, crochets, changements d’appuis, feintes, passes acrobatiques tout est bon pour éviter à tout prix d’être touché.
Le rugby à toucher fidjien est donc bien plus exigeant que celui joué partout ailleurs. Il force le joueur à apprendre à libérer le ballon avant le contact tout en fixant le défenseur. Il force le joueur à apprendre à anticiper bien plus vite que les joueurs qui sont initiés au rugby soit par le jeu à 3 touches ou à plaquer, puisque les règles favorisent les passages par le sol ce qui rassure le joueur ou la joueuse. Donc cette formation du joueur "naturel" rend le joueur fidjien largement supérieur dans sa perception spatio-temporelle pour pouvoir faire vivre le ballon qui, par son mouvement, va désorganiser les défenses.
Il y a aussi la notion de partage du ballon, du plaisir de le passer et l’offrir à un autre. Un rituel dans le jeu à toucher fidjien est que qui, que vous soyez, débutant, touriste, joueur confirmé, dés que vous joignez le jeu, on vous passe le ballon, comme une offrande, une invitation à la joie du jeu. Un rituel qui traduit une volonté de ne pas être égoïste dans le jeu en gardant le ballon mais à le partager avec ses partenaires. C’est ainsi que le rugby à toucher à la façon fidjienne, que tous les enfants et adultes pratiquent quotidiennement, est un facteur clé dans le triomphe du rugby fidjien aux Jeux olympiques.
Crédit photo : Facebook Franck Boivert
La religion joue un rôle prépondérant dans ce triomphe car elle apporte dans la préparation mentale tout ce que les psychologues du sport recommandent pour le haut niveau. Elle apporte la sérénité avant le match, le retour au calme après le match. Les rituels d’avant-match comme la prière et les cantiques aident les joueurs à avoir la routine de préparation nécessaire à la performance. Cette routine religieuse permet une lucidité et un courage avant le match dont ont besoin les sportifs de haut niveau.
Enfin comment ne pas oublier cette nation folle de rugby qui dans les stades crie et rie, s’amuse pour un rien et saute et danse de joie même quand l’équipe adverse marque ! Pour tous ceux qui comme moi ont joué devant les publics hargneux et sous les invectives les plus abjectes des terrains de France, quelle fraicheur, quel bonheur et quel honneur d’entrainer et participer dans LE pays du rugby.
VIDÉO. Rio 2016 - La joie des Fidjiens après le titre olympique en rugby à 7Alors laissez les enfants jouer, esclaffez vous de rire plutôt que de râler, respectez toute personne et retrouvez vos traditions et ses rituels, danses, chants et le rugby deviendra aussi beau que celui qui a étincelé la finale des Jeux olympiques de Rio.
Franck Boivert a été conseillé technique des Fidji en 1988 pendant la tournée en France via un programme de coopération de l'Ambassade de France. Cette dernière lui a ensuite confié un autre programme de coopération en 1997 à l'université pendant 5 ans, puis à la Fédération en 2003/2004. De 2005 a 2014, il a travaillé pour l'IRB en tant que "development officer" de la région pacifique puis est devenu DTN pour la FRU en 2012/2013. Il s'occupe désormais des programmes philanthropiques de Clermont et Brive ici à Fidji. Auparavant, il a été entraineur à l'Université de Stanford pendant 17 ans et notamment entraineur national de USA feminines pendant 5 ans avec deux finales de Coupe du monde à la clé. Merci à Franck Boivert d'avoir accepté de nous laisser publier son texte.
Kadova
Ce texte est magnifique. Qui peut l'envoyer a tous les clubs de France et de Navarre?
MARCFANXV
C'est beau et rafraichissant Est-ce pour autant transposable chez nous ? Cela fonctionne d'abord et surtout parce que pratiqué aux Fidji, par des Fidjiens...Qu'on le veuille ou pas ils disposent de Morphotypes, d'Aptitudes naturelles, de prédispositions pour un type de Jeu pas si courantes vers chez nous...Après, s'il faut lire en sibyllin qu'il convient de libérer les énergies, de valoriser les prises d'initiatives, de rechercher coute que coute à rendre le Joueur "Joueur" alors oui, le champ d'explorations est immense...Mais cela va souvent à contre-sens des intérêts des Gardiens du Temple alors le chemin risque d'être rude....
Nuage69
Un texte et une analyse qui fait du bien. Oui le rugby reste un jeu où on doit avant tout s'amuser. Mais j'ai bien peur que nos mentalités de rugby sérieux soient encrée profondément.
Dans une discussion informelle avec un membre influant d'une école se rugby j'ai venté les merites du touché, la réponse a été que d'après les contenus de match en tournois le point faible était le ruck et qu'il fallait le travailler.
La compétition et ses résultats trop tôt trop jeune nous perdent dans des logiques sérieuses....un jeu le rugby doit être amusant.
tipunch
le rugby aux Fidji c est une seconde religion et la religion est très très présente.
merci pour ce superbe texte.
vae victis
Oui, les gosses jouent l'après-midi au rugby toucher, mais chez nous c'était déjà le cas il ya 20 ou 30 ans et cela a permis de voir arriver des beaux joueurs de rugby avec beaucoup de mouvement, aujourd'hui nos jeunes vont au lycée puis s'entraînent tard le soir ou parfois tous les soirs rentrent très tard chez eux ou les attend des devoirs des révisions. Comment voulez-vous qu'ils pensent au jeu sous cette pression. Alors que s'ils faisait du rugby l'après-midi, ils seraient beaucoup pas serein. Ca à eu existé chez nous, dans les anciens sport études, on y faisait des matchs ou des toucher tous les jours. Place au jeu..
tipunch
mais il ne marche pas encore qu'ils ont déjà un ballon dans les mains.....
fabien81
la grosse différence entre eux et nous c'est que chez eux le plaisir de jouer existe encore là où en France il n'existe même plus en école de rugby.
Il n'y a qu'à aller voir des tournois de jeunes pour s'en rendre compte, la demande de victoires l'emporte sur le plaisir de jouer.
crazyrugby
Voila, pour ceux qui pensent que les meilleurs fidjiens sont forcément dans notre championnat.
Et voila pour moi, qui ai toujours rêvé d'avoir les même courses chaloupés et les mêmes changements d'appuis déroutants que les fidjiens! Il faut s'entraîner pied nus!!
Androsfortdufruit
Pour un européen, attention aux entorses de chevilles ahah
AKA
Des gosses qui jouent partout, à l' école, pieds nus.... Çà me rappelle un autre pays qui domine ce jeu à XV et qui se démerde pas mal à 7!!! Je suis , je suis? Et oui pendant ce temps nous on fait de la muscu et du rentre dedans, on se dispute autour d' un grand stade et on évoque la "formation" mot énigmatique chez nous....
ankou
Agréable lecture, mais combien de sports collectifs sont disponibles là-bas ? Pas facile pour les enfants ici, de s'amuser sur le bitume. J'aimerais bien voir les gamins ici jouer aux touchés après l'école, mais peu probable.
Rchyères
Superbe texte !
ChickenRef
Merci, merci et merci.
Merci aux Fidjiens pour ce jeu et cette leçon de sport,
Merci à M.Boivert pour ce texte
Merci au rugby
Gregory L'envolée
Et merci Jacquie et Michel.
Androsfortdufruit
Il a raison !!!