Franck Boivert : "Sans une forte identité une équipe ne peut pas être aussi irrésistible que les Fidji"
Franck Boivert est un amoureux du rugby. Crédit photo : Facebook Franck Boivert
Ancien directeur technique du rugby fidjien, Franck Boivert connaît le rugby fidjien comme sa poche. Après le titre olympique de Fidji Sevens, il a tenu à partager sa vision du rugby fidjien. A méditer.

Pendant notre entretien pour recruter le nouvel entraineur de Fidji, Ben Ryan avait un large sourire, une gentillesse et une modestie touchante mais surtout il connaissait le jeu fidjien mieux que tout autre candidat et même encore mieux que les candidats fidjiens eux-mêmes. C’est dans ce sourire, qui traduit le bonheur de partager la joie de vivre, que l’on trouve une des raisons principales du triomphe fidjien. Alors il fut le choix sans conteste, malgré la réticence de certains.

Fidji est la seule nation qui a vraiment sélectionné ses meilleurs joueurs pour les Jeux olympiques car les joueurs de rugby de Fidji sont les joueurs du peuple fidjien, ce ne sont pas les joueurs de présidents de clubs égocentriques. Ils sont nos amis, nos cousins, nos frères, nos fils ; notre Vanua (Notre Terre).
Rio 2016 - Les Fidji champions olympiques de rugby à 7, un titre historique
Leurs valeurs sont celles qui séduisent tous ceux et celles qui approchent les joueurs fidjiens : Humilité, Tradition, Respect, qui donnent au rugby fidjien sa forte identité. Fasse que mon pays la France trouve ces valeurs et replonge dans ses racines, ses identités régionales avec ses langues, ses chants, ses danses ; c’est la leçon que la victoire des Fidji aux Jeux olympiques donnera je l'espère à mon pays. Sans forte identité et sans les rituels qui vont avec, une équipe ne peut pas être aussi irrésistible que Fidji Sevens.

Mais surtout fasse que les enfants jouent ! Le rugby fidjien qui a triomphé, c’est le rugby qui joue, qui est joyeux vers les 4 heures de l’après-midi dans tous les champs, les rues, les cours de récréation que l’on trouve à cette heure magique partout dans Fidji. C’est là qu’est le secret des magiciens, on joue au rugby à toucher pour rire, pour s’amuser et tous les éducateurs du monde doivent comprendre que le jeu cela ne s’apprend pas mais que cela se célèbre a travers le plaisir et la joie.


Crédit photo : Facebook Franck Boivert

Les enfants fidjiens futurs champions olympiques ont appris le rugby dans la joie du rugby à toucher, le plaisir de jouer, le jeu libre cher à Pierre Villepreux. Ce jeu libre engendre la gestuelle libre matrice de la créativité, de la magie qu’évoquent tous les journalistes pour illustrer le jeu fidjien.

Le génie de Ben Ryan, le coach, a été de s’assurer que les joueurs aient cet espace de liberté ballon en mains, et de mettre en place de solides bases en défense, en conquête et sur les points de rencontre là où l’âme guerrière fidjienne a trouvé son exutoire.


Les qualités athlétiques ont fait le reste, les Fidjiens, outre leur vitesse, ont de très grandes mains et une envergure de bras exceptionnelle ce qui leur permet d’attraper et passer le ballon dans les positions les plus acrobatiques. Les champions olympiques ont grandi pieds nus et cela explique les appuis qui déroutent les défenseurs.

Alors le jeu fidjien se déroule avec une efficacité redoutable car adapté aux qualités propres des joueurs. Le taux de marque (strike rate) est le meilleur de toutes les équipes, Fidji met peu de temps pour marquer car le ballon ne passe pas par le sol, c’est l’équipe qui fait le moins de mêlées ouvertes (rucks) et donne tout son sens à l’ancienne maxime de quelques techniciens français pour qui le ruck (mêlée ouverte) est un accident de jeu. Ce jeu était en voie de disparition aux Fidji dans la décennie dernière sous l’influence de techniciens étrangers mais aussi des joueurs partis jouer à l’étranger et perdant ainsi leur identité. Nous l’avons remis en pratique avec la Province de Nadroga dés 2010 et depuis la province phare du rugby fidjien, qui fournit la majorité des joueurs professionnels de par le monde, a régné sans partage sur le rugby de l'archipel et fait danser de joie nos supporters.

La suite du texte de Franck Boivert en page 2 >>

Mais cette capacité unique à faire vivre le ballon trouve son origine dans la formation de jeu libre qu’est le rugby à toucher. Le rugby à toucher se pratique partout dans le monde, mais à Fidji les règles sont particulières et je ne les ai jamais jouées ailleurs qu’à Fidji. Partout sur la planète ovale, le ballon change de camp au bout de 3 ou 4 "touché" parfois plus. Aux Fidji la balle change de camp sur 1 touche uniquement. Dans la formation du joueur, ce détail a une importance cruciale et prépondérante. Quand tous les joueurs de par le monde sont initiés au rugby par le touché ou le plaquage, il est rassuré dans sa prise de décision parce que si il est touché, au moins il n’aura pas commis de faute grave et il pourra rejouer le ballon.

Dans le rugby à toucher fidjien, non, le joueur ou la joueuse commet une faute grave quand il se fait toucher car le ballon est rendu à l’adversaire. Il faudra à ce joueur d’être bien plus alerte dans sa prise de décision, il faudra alors qu’il prenne vite des informations, que son champ de vision soit le plus large possible, qu’il sache où sont les défenseurs, ses soutiens, les espaces libres, il faudra qu’il développe une stratégie gestuelle très variée afin d’éviter au maximum l’adversaire, crochets, changements d’appuis, feintes, passes acrobatiques tout est bon pour éviter à tout prix d’être touché.

Le rugby à toucher fidjien est donc bien plus exigeant que celui joué partout ailleurs. Il force le joueur à apprendre à libérer le ballon avant le contact tout en fixant le défenseur. Il force le joueur à apprendre à anticiper bien plus vite que les joueurs qui sont initiés au rugby soit par le jeu à 3 touches ou à plaquer, puisque les règles favorisent les passages par le sol ce qui rassure le joueur ou la joueuse. Donc cette formation du joueur "naturel" rend le joueur fidjien largement supérieur dans sa perception spatio-temporelle pour pouvoir faire vivre le ballon qui, par son mouvement, va désorganiser les défenses.

Il y a aussi la notion de partage du ballon, du plaisir de le passer et l’offrir à un autre. Un rituel dans le jeu à toucher fidjien est que qui, que vous soyez, débutant, touriste, joueur confirmé, dés que vous joignez le jeu, on vous passe le ballon, comme une offrande, une invitation à la joie du jeu. Un rituel qui traduit une volonté de ne pas être égoïste dans le jeu en gardant le ballon mais à le partager avec ses partenaires. C’est ainsi que le rugby à toucher à la façon fidjienne, que tous les enfants et adultes pratiquent quotidiennement, est un facteur clé dans le triomphe du rugby fidjien aux Jeux olympiques.


Crédit photo : Facebook Franck Boivert

La religion joue un rôle prépondérant dans ce triomphe car elle apporte dans la préparation mentale tout ce que les psychologues du sport recommandent pour le haut niveau. Elle apporte la sérénité avant le match, le retour au calme après le match. Les rituels d’avant-match comme la prière et les cantiques aident les joueurs à avoir la routine de préparation nécessaire à la performance. Cette routine religieuse permet une lucidité et un courage avant le match dont ont besoin les sportifs de haut niveau.

Enfin comment ne pas oublier cette nation folle de rugby qui dans les stades crie et rie, s’amuse pour un rien et saute et danse de joie même quand l’équipe adverse marque ! Pour tous ceux qui comme moi ont joué devant les publics hargneux et sous les invectives les plus abjectes des terrains de France, quelle fraicheur, quel bonheur et quel honneur d’entrainer et participer dans LE pays du rugby.
VIDÉO. Rio 2016 - La joie des Fidjiens après le titre olympique en rugby à 7
Alors laissez les enfants jouer, esclaffez vous de rire plutôt que de râler, respectez toute personne et retrouvez vos traditions et ses rituels, danses, chants et le rugby deviendra aussi beau que celui qui a étincelé la finale des Jeux olympiques de Rio.


Franck Boivert a été conseillé technique des Fidji en 1988 pendant la tournée en France via un programme de coopération de l'Ambassade de France. Cette dernière lui a ensuite confié un autre programme de coopération en 1997 à l'université pendant 5 ans, puis à la Fédération en 2003/2004. De 2005 a 2014, il a travaillé pour l'IRB en tant que "development officer" de la région pacifique puis est devenu DTN pour la FRU en 2012/2013. Il s'occupe désormais des programmes philanthropiques de Clermont et Brive ici à Fidji. Auparavant, il a été entraineur à l'Université de Stanford pendant 17 ans et notamment entraineur national de USA feminines pendant 5 ans avec deux finales de Coupe du monde à la clé. Merci à Franck Boivert d'avoir accepté de nous laisser publier son texte.

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  • Kadova
    31090 points
  • il y a 8 ans

Ce texte est magnifique. Qui peut l'envoyer a tous les clubs de France et de Navarre?

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