Tournoi 2008. L’Angleterre du rugby, qui sort d’une finale de coupe du monde perdue face à l’Afrique du Sud, est en reconstruction. Brian Ashton n’est plus son entraîneur, Jason Robinson, Phil Vickery et Martin Corry ont raccroché les crampons tandis que Sir Jonny Wilkinson est toujours en délicatesse avec son corps meurtri. Et puis bingo : En l’espace d’un 6 Nations et d’une titularisation à 18 points face à l’Irlande, la Perfide Albion parle déjà d’avoir trouvé le successeur de l’ange blond au pied d’or.
RUGBY. VIDÉO. 7 minutes de fun et d’extase avec les meilleurs moments du magicien Danny Cipriani
Il faut dire qu’à l’époque, les promesses de Danny Cipriani ont de quoi faire rêver. A tout juste 20 ans, le gamin londonien cartonne en Coupe d’Europe avec les Wasps, émerveille tous les amateurs de beau jeu en Premiership grâce à des skills bien au-dessus de la moyenne, dispose d’une patte gauche précise plus que de raison, d’un raffut autoritaire et pour couronner le tout, est annoncé plus rapide que le supersonique Paul Sackey (10,70 sec au 100 mètres) sur 70 mètres d’après son club !
VIDÉO. Sur passe au pied millimétrée de Marcus Smith, Green s’envole façon Superman pour l’essai de l’annéeSeize ans plus tard, au moment de refermer le livre de sa carrière, celui qui fit ses débuts avec un casque vissé sur la tête n’aura connu que deux nouvelles titularisations avec le XV de la Rose, et 12 petites sélections. Famélique, au regard de son immense talent. Mais alors comment la carrière d’une étoile annoncée a t-elle pu foirer à ce point ? Comment l’enfant de Roehampton s’est-il embourbé dans une succession de frasques qui ne l’ont jamais quittées? Les démons, les blessures, les irrégularités et son penchant pour les célébrités répondent en bonne partie à la question…
Premières frasques
Car ce que son immense talent n’arrive pas (déjà) pas à cacher à ses débuts, c’est son sentiment de rejet. Nourri par son aversion pour les règles, son penchant pour l’interdit, son caractère bien trempé et sa grande sensibilité. Laissé de côté par son père retourné dans son Trinidad natif durant son enfance, Cip’s a longtemps pensé que ses mains d’or et la vie de star qu’elles pouvaient lui offrir assouviraient probablement son désir d’être aimé. Il mis aussi du temps à comprendre qu’elles pouvaient aussi causer sa perte.
RUGBY. La carrière unique de Sonny Bill Williams ? Il faudrait 100 pages pour vous la raconter !
Il faut dire que dès ses débuts et la faute à son statut, la presse sportive anglaise ne l’a jamais épargné. Les blessures non plus. Et après sa fracture de la cheville en demi-finale 2008 face à Bath, à la fin de la saison qui le révéla, rien ne fut (déjà) plus pareil. Alors quand les performances de "Danny The Kid" furent moins bonnes à son retour à l’aube de la saison 2009, les tabloïds britanniques n’hésitèrent pas à attribuer tous ses maux un penchant trop important pour les soirées arrosées, les jolies filles et toutes les bonnes choses de la vie. Un acharnement et une surmédiasation de sa vie privée à l’époque qui ne tarderont pas à mettre fin à son idylle avec Kelly Brook, célèbre mannequin et présentatrice britannique, ainsi qu’un énorme coup à son moral.
Celui qui, à deux jours de sa première sélection, est aperçu en pleine bringue dans une boîte de nuit de Londres - dont il connaît tous les recoins - commence donc à sombrer. Sur le déclin en club, plus proche des bouteilles et des soirées branchées que du terrain, l’élégant meneur de jeu décide donc de partir se relancer à l’autre bout du monde, du côté des Melbourne Rebels, en Australie, histoire de changer d’air et de tenter de séduire un public peut-être moins dur à son égard, en vue du Mondial 2011. Pour l’aventure aussi, Cipriani ayant toujours aimé cultiver la singularité, lui qui fut donc seulement le second britannique de l’histoire à jouer en Super Rugby après Andy Goode (depuis, James Haskell en 2012 et Joe Marchant en 2020 ont évolué en Nouvelle-Zélande).
A 24 piges, le prodige controversé débarque donc seul, à l’autre bout du monde. Et s’il retrouve rapidement des sensations et son rugby au milieu du jeu aéré de l’hémisphère Sud, l’Australie et son rythme de vie festif sont une trop grande tentation pour le Cipriani de l’époque, encore jeune et assez loin des règles d’usage. Premier match avec les Rebels et premier fracas : après la rencontre face aux Waratahs, une partie des joueurs de la franchise décide d’aller fêter ça, et voilà que Cip’s est surpris à voler une bouteille de vodka dans une boîte de nuit de la ville…
La plus jeune franchise du Super Rugby de l’époque ferma une fois les yeux, mais quand le trublion anglais transgressa le règlement interne des joueurs lors d’une escapade nocturne avec son compatriote Richard Kingi (passé ensuite par le Stade Français) la saison suivante, ce fut la fois de trop. Pour "multiples manquements aux règles de l’équipe", expliquait l’entraîneur des Rebels à l’époque, il fut alors écarté puis plus ou moins remercié par l’encadrement, obligé pourtant de se séparer de manière précipitée de l’un de ses meilleurs joueurs au nom du collectif. Chose que Danny a, là encore, longtemps eu du mal à comprendre.
Le dangeureux monde de la nuit
Se faire virer d’un club où il s’éclatait lui a-t-il servi de leçon ? Il semblerait que l’étiquette du gamin imprévisible, capricieux et immature qui lui collait à la peau soit intimement liée au monde de la nuit, au sein duquel ses démons finissaient toujours par refaire surface. Comme lorsqu’il fut renversé par un bus en 2013 alors que les joueurs de Sale fêtaient une victoire dans le centre de Leeds, arrêté pour conduite en état d’ivresse en 2015, sans oublier 2018 pour "the last but not the least" (entendez la dernière et non des moindres), où il fut interpellé pour vol, agression sur agent et refus d’obtempérer à Jersey lors d’un stage de préparation avec son nouveau club de Gloucester. Toujours une drôle de manière de se présenter le Danny…
Abattu de ne pas voir ses efforts sportifs récompensés, mal dans sa peau et seul comme un chien une fois les amitiés intéressés mises de côté, le prodige révéla d’ailleurs avoir voulu en finir avec toute cette vie là, dans une bouleversante vidéo qui fit un boom sur les réseaux sociaux en 2019. "J'avais rencontré un gars en boîte de nuit. Je savais que c'était un mauvais gars [...] À un certain moment, j'ai décidé qu'il était temps de m'enlever la vie. J'ai donc essayé de lui acheter un revolver. Puis je me suis rétracté. J'ai essayé à nouveau de lui en acheter un mais j'ai renoncé. Ça a duré deux mois."
L'attaque d'Eddie Jones
Bon an, mal an, Cipriani finit toujours par se relever. Et même en profond désaccord et boudé par les différents sélectionneurs Martin Johnson, Stuart Lancaster puis Eddie Jones, le crack ne laisse pas indifférent. Déterminé à jouer le Mondial 2019 au Japon, l’ancien de Sale retrouve son peu à peu des couleurs lors de ses années aux Wasps, jusqu’à connaître sa première titularisation en sélection depuis une décennie à l’été en 2018. Une rencontre qu’il marqua de son empreinte d’une diagonale au pied millimétrée pour l’essai de la victoire de Johnny May, qui vînt offrir aux Anglais leur seul test victorieux de cette tournée en Afrique du Sud, sous le déluge du Newlands.
AMATEUR. VIDEO. Frère en Top 14, appuis de fou et mélange de Libbok et Arendse, voici Curtis JonasPas suffisant pour satisfaire Eddie Jones qui balaya d’un revers de main la belle prestation de son ouvreur dans son autobiographie parue l’année suivante, en restant buté sur ses démons passés. "Quand un joueur fait des choses stupides à répétition, vous n’aspirez pas à le faire changer. Avant d’abonder : et puis, tout le monde n’a parlé que de son coup de pied en disant qu’il avait une nouvelle fois prouvé que c’était un génie mais en dehors de ça, qu’à t-il fait ? Rien, il est resté muet tout le match. Après la rencontre, il était encore loin derrière Ford et Farrell."
Une attaque venue conforter le sentiment que Cipriani pâtirait quoi qu’il en soit de son image frauduleuse, à laquelle le principal intéressé répondit finalement avec sa verve habituelle pour le Guardian. “La seule chose que je veux déclarer est qu’il en a dit plus à mon sujet en un livre qu’il ne m’en a jamais dit à moi. Il ne m’a jamais lâché deux mots alors que j’ai pu trouver tout ce dont j’avais besoin de savoir sur lui dans ce livre." Avant de rétorquer d’un pic saillant. "Mais je ne veux pas faire les gros titres avec mes propos car je ne pense même pas à lui. S’il m’appelle, c’est bien, on aura une longue discussion. En attendant, je n’ai pas de leçons à recevoir de sa part." La gueule de bois, oui, mais pas la langue…
UN ULTIME COUP DE LA VIE
Alors, en quête d’un ultime défi pouvant potentiellement lui ouvrir les portes du Mondial japonais en 2019 et bien qu’annoncé un temps partout en France, l’ancien crack de la Rose finit par s’engager du côté du Kingsholm Stadium de Gloucester. Sous la houlette de Johan Ackermann et à la baguette d’un dispositif prônant un jeu aéré et fait de prises de risques, le trentenaire joue rapidement le meilleur rugby de sa carrière, avec notamment des gestes tous plus techniques les uns que les autres, jusqu’à en être élu meilleur joueur de Premiership de la saison. Insuffisant malgré tout pour disputer la Coupe du Monde (une compétition qu’il n’aura d’ailleurs jamais jouée), vous avez compris les raisons.
VIDEO : la magie de Danny Cipriani continue avec une sublime passe aveugle pour l'essai !Son rêve ultime envolé, celui qui fêtait d’ailleurs son anniversaire le jour de la finale, le 2 novembre, aura vécu un automne "difficile", d’après ses dires. Jusqu’à mettre enfin des mots sur le malêtre qui le ronge depuis toujours. "Depuis enfant, j’ai toujours eu ce sentiment de rejet. Mais est-ce que je dois l’affronter toujours avec les mêmes craintes et les mêmes problèmes où décider enfin de rompre avec ça ? Je n’ai pas envie d’arriver à 60 ans et de voir toutes les leçons de la vie me jaillir en pleine face. Il faut que cela change, et je crois que c’est enfin arrivé. Depuis quelques semaines, quelque chose semble se dessiner, c’est une évidence."
Alors, 32 ans, l’âge de raison ? Les années aident bien sûr, mais Cip’s remit plutôt ça sur le compte des bons conseils de son coéquipier Tom Marshall, qu’il se plaisait à appeler "le bon remède", ou encore sur le travail effectué sur lui même durant la dernière intersaison, lors d’un séjour à Malibu avec un groupe de personnes très éclectiques. Avant que la vie ne vienne à nouveau le frapper, comme pour ne lui accorder aucun répit.
TOP 14. Insatiable sur le marché des transferts, ce club va-t-il séduire la légende Danny Care ?
En février 2020, l’extravagant ouvreur apprenait le suicide de son ex-compagne et amie Caroline Fleck, présentatrice TV sur une chaîne payante. Très proche de lui, ses derniers appels à l’aide furent à destination du téléphone de Danny, juste avant d’en finir. Aux prises avec les Chiefs d’Exeter en ce vendredi soir brumeux, le génie tourmenté ne pu venir en aide à celle à qui il s’était tant confié. Meurtri, ce fut l’ultime affront pour ce garçon fragile et pourchassé par ses démons. Lui qui semblait, depuis peu, au gré de ses erreurs et des rencontres instructives, avoir enfin trouvé la paix intérieure.
Télé-réalité, amour et retraite
Quatre ans plus tard, après une ultime aventure à Bath - le club dont Mourad Boudjellal aurait pu être le président puisqu’il a compté dans ses rangs Danny Cipriani, Gavin Henson et désormais Finn Russell (!) - un transfert avorté à Dallas et une candidature spontanée pour rejoindre la France, le seul, l’unique Danny Cipriani a donc officiellement pris sa retraite, ce mercredi 31 janvier 2024.
Lui qui n’avait plus foulé un terrain depuis deux ans et enchaîné les émissions de télé comme "La ferme célébrité" et "danse avec les stars" depuis lors, convaincu que son talent dépassait largement le rectangle vert. A raison ? Après avoir enfin retrouvé l’amour, le principal intéressé a en tous cas refermé le rideau de 15 ans de rugby professionnel, quelque 1750 points et autant de frasques en écrivant : "je sais que j’ai été parfois implacable, mais nous nous sommes bien amusés." N’est-ce pas là le principal, finalement ?
alan75
Ici un mec qui bat sa femme.
Là-bas un autre qui la laisse se suicider...
Deux égoïstes.
Je suis heureux que mes enfants n'aient pas eu à fréquenter l'un ou l'autre...
Un riz savant scie
Touchant portrait. Dur comme trajectoire.
DAV!D
Chouette article pour un joueur tourmenté et extraordinaire.
frakc
@Theo Fondacci
Les vidéos incrustées ne semblent pas être les bonnes.
La première est intitulée "Markus Smith's stellar performance against Gloucester 2023"
La deuxième ne passe pas (problème ID?) .
Merci pour l'article
Fondacci
Je regarde ça, merci !
Jak3192
Belle oraison... heureusement pas funèbre
Ce gars et son histoire pourrait faire un film pas mal