Une plongée en immersion dans un monde amateur qui a le droit de jouer encore, les seuls du pays, presque comme si rien n'était arrivé, comme si tout perdurait au-delà de toutes pandémies ou catastrophes sanitaires. Mais le presque est important, parce que la réalité dépossède le cliché de tout son folklore d'autrefois ; petite revue de détails :
Jeudi 04 mars
Nous avons rendez-vous à 11h30, au siège de l'association Aviron Bayonnais, stade de la Floride, pour faire les tests PCR obligatoires, 3 jours avant chaque match, tous les joueurs sont testés, exceptés ceux qui ont déjà eu la Covid et qui sont immunisés ; cela est vérifié tous les 3 mois par une sérologie immunitaire. Le soir même, les résultats sont donnés à chaque joueur et au médecin référent du club par le laboratoire préleveur. La communication permet de prévenir en cas de contamination et d’isoler tous les cas positifs. Aujourd'hui pas de malades, tout le monde est sur le pont !
Vendredi 05 mars
La mise en place a lieu sur le terrain synthétique du stade de La Floride, le groupe des 23 joueurs retenus se prépare studieusement, répétant les différents lancements de jeu, phases de conquêtes, touches ou mêlées, les contre-attaques après un turn-over, le jeu dans la défense, les relances ou le jeu dans l'axe. L'accent est mis aussi sur la défense, agressive et rapide, le mot d'ordre est martelé par les deux entraîneurs et le capitaine. Sur le terrain annexe, les « hors-groupe » s'entraînent avec les préparateurs physiques, les blessés et les joueurs en réathlétisation alignent des séances de course ou de parcours spécifiques à leurs blessures. L'entraînement commence un peu plus tôt à cause du couvre-feu, il se termine quand même après 18h, chaque joueur ayant une dérogation éditée par la fédé et signée par le président du club en cas de contrôle de police. Tout est en ordre, la bulle sanitaire n'a pas encore d'effet pervers sur la côte-basque.
Samedi 6 mars
La montée sur Paris se fait en train, départ à 14H, 4 heures de voyage de la gare de Bayonne à celle de Montparnasse, tout le monde est à l'heure, l'ambiance est bon enfant, ça chambre ici, ça commente le match de top 14 de la veille par-là, un peu plus loin on suppute les chances de l'équipe première Bayonnaise pour le match de championnat du jour, contre Lyon : une ambiance classique pour un déplacement lointain. Un peu plus loin sur le parvis de la gare des manifestants (des teufeurs comme ils se nomment...) pour la libéralisation des fêtes et de la musique de rue amusent le groupe par leurs tenues bigarrées et leurs pancartes aux slogans pour le moins hors-sol.
Des patrouilles de police passent également, plutôt tranquilles...
Discussion avec des policiers, on parle de ballon ovale, pas vraiment de masques portés trop bas, les questions habituelles :
- Vous allez jouer où ?
- Contre qui ?
La montée dans le train traîne un peu, le chef de gare joue du sifflet et incite tout le monde à accélérer pour éviter tout retard intempestif. Chacun trouve sa place, les ordis, les tablettes, les smartphones sont tous de sortie, la wifi de la sncf est un leurre pour gogo, vaut mieux rester en 4G, pour l'instant la fameuse 5G de Bill Gates est toujours une science-fiction pour fake news complotistes. Certains regardent le match de l'après-midi sur Canal, beaucoup matent une série sur Netflix ou Disney+, quelques-uns, des irréductibles, jouent aux cartes, pour un Mus (prononcez mouche), une sorte de poker basque où plus tu mens, mieux tu gagnes. Bordeaux arrive, après une longue traversée d'un désert déconnecté, les Landes et ses pins, brouilleurs d'ondes, qui touchent le ciel trop bas. La connexion est bien meilleure passée la Garonne, c'est l'heure du goûter mais le wagon-bar est fermé, pas de café ou un verre de ce que tu veux à boire, put... de pangolin !!
17h, pour les ultras-connectés, ceux qui possèdent rugby+, pas de multiplex, live intégral en direct de Jean-Dauger, peu de sourires sur les visages, l'Aviron est dominé... L'affaire s'annonce compliquée, les moues sont de plus en plus dubitatives. Un essai de Luc, presque par hasard, juste à la mi-temps permet de croire au miracle, les bleus sont devant pour 2 points, mais personne n'est dupe, Lourdes ne siège pas encore au bord de la Nive. Arrivée à Paris sur ces entrefaites, le match continue sans nous, on débarque sur le quai, trouvons notre chauffeur qui nous attend au bout de ce dernier, pancarte "Aviron bayonnais" à la main. Longue balade dans les méandres de Montparnasse jusqu'au bus, chargement des sacs dans la soute, direction l'Ibis de Vélizy. Sortie du Parking, soleil sur Paris, La Tour Eiffel est toujours là, au bout de l'horizon de l'avenue du Maine. Les tablettes ressortent des sacs, le match a bien continué sans nous, le score est de 21-13 pour Lyon... Malgré un retour inespéré à 21-20 à quelques minutes du coup de sifflet final, Bayonne encaisse un dernier essai et perd le match, ainsi que le point de bonus défensif.
La discussion entamée entre les membres du staff porte déjà sur la suite de la saison et l'importance capitale du prochain match contre Agen, on perçoit des points d'interrogation dans les différentes remarques. Sinon, même à l'heure du couvre-feu, Paris bouchonne, des policiers courent après des jeunes, vendeurs à la sauvette au coin d'une rue, le bus chambre les hommes en bleus largués à la course par les gamins aux capuches remontées. Le chauffeur fort sympathique nous laisse devant la porte d'entrée de l'hôtel, pas beaucoup de clients, le réceptionniste nous attend, on distribue les chambres : doubles pour les joueurs, singles pour le staff, ce dernier décide de se retrouver, à l'heure de l'apéro, dans la chambre de Vincent, le préparateur physique, avec quelques bières en bouteille, achetées au bar de l'hôtel, pour un verre de l'amitié, de la déconnante et des histoires à rire et à sourire.
A 20h30 précises, tout le monde a rendez-vous à la réception de l'hôtel pour récupérer son dîner : riz nature et pavé de saumon + fromage blanc, même pas une bouteille d'eau, difficile de faire plus frugal. J'oubliais : 4 brins de fromage râpé pour accompagner le riz très pilaf. Ça râle dans les chambres, les estomacs crient presque famine, je charrie mais certains plus gourmands vont commander à l'Uber eats du coin des pizzas maxi pour câler une faim qui n'en finit pas de gémir sa solitude. Chacun rejoint sa chambre pour déguster son festin du soir, le repas est vite terminé, les joueurs se réunissent dans quelques chambres pour des parties de playstation, certains jouent au coiffeur made in Mercedez, les autres matent la tv, The Voice, le foot ou un triste Toulon/Racing pour qui trouve la bonne chaine. Mais la nuit sera calme et très silencieuse, l'important c'est le lendemain et chacun sait pourquoi il est là. Bonne nuit les petits.
Dimanche 7 mars - matin
- Réveil à 06h30, le petit-déj est à partir de 07 heures, Vincent le préparateur physique râle, pas assez de pain, à la place des viennoiseries normalement proscrites, la diététique n'est pas respectée, personnellement je ne suis pas contre, mon riz-saumon de la veille est bien loin.
- A 08h45 réveil musculaire, les joueurs vont dans un espace à côté de l'hôtel, ils s'activent sous le regard de François et Juan-Pablo leurs entraîneurs, la séance est menée par Vincent, il y a même Patxi le kiné qui y participe. Le reste du staff, Jean-Ba, le directeur de la formation, Gégé le vidéaste, Philippe et Pierre les dirigeants vont acheter des barres de céréales, des bananes et des packs d'eau pour énergiser l'avant-match.Tout le monde se retrouve dehors, pour la fin du warm-up, le temps est froid sous un ciel tout bleu, -2 degrés au thermomètre.
- 09h30, déjà le déjeuner, le match est à 13 heures, because heure du train de retour, il faut respecter le temps de digestion, les portions sont plus amples que pour le précédent repas, il y a même du rab proposé, au menu un mix carottes râpées, taboulé et céleri rémoulade, l'éternel poulet-pâtes + un peu de râpé, une salade de fruits et un yoghourt, par rapport à la veille c'est presque un gueuleton !!
- Entre 10h et 11h15, l'heure du départ au stade, Patxi le kiné reçoit dans sa chambre tous les joueurs qui doivent être strappés ou massés, ses mains ne chôment pas, les rouleaux d'Elastoplast déroulent leurs bandes adhésives, sans discontinuer.
En attendant la fin du strapping et le départ du bus, les joueurs et le staff se retrouvent dans le hall d'entrée, certains jouent au baby-foot, d'autres ont foi dans le gambit game, échec au roi, d'autres encore s'essayent à un puissance 4 géant ou à une sorte de Backgammon chinois. Le temps passe lentement. A la télé BFM tourne en boucle sur les mêmes infos, litanie habituelle. Enfin c'est l'heure de partir, Philippe l'un des dirigeants règle la note d'hôtel, les sacs sont rangés dans la soute à bagages, les joueurs arrivent par petits groupes, Patxi, le kiné, en dernier avec son dernier client de strap. Le bus démarre.
Dimanche 7 mars - midi
Arrivée au stade du Plessis-Robinson, les dirigeants du Racing sont là pour nous accueillir et indiquer sa place au chauffeur de bus pour qu'il se gare. Il y a des travaux partout, la nouvelle ligne de tramway du Grand Paris occupe tout l'espace, empiétant sur tout le reste. Les joueurs et le staff vont directement au vestiaire, certains dirigeants vont boire un café au club-house à l'étage, Jean-Ba, le directeur de la formation, discute avec Julien Brugnault, l'ancien pilier local, membre du staff francilien, ce dernier salue aussi, Juan-Pablo Orlandi, l'entraîneur des avants bayonnais, surement une histoire de pillards, on ne peut pas comprendre.
Les joueurs vont sur la pelouse, rituel d'avant match, l'herbe est synthétique et ressemble à s'y méprendre à celle du stade Christian Belascain, où les bayonnais ont leurs habitudes quand ils jouent à la maison. Puis vient le moment de la remise des maillots, les deux entraîneurs parlent au groupe, on y retrouve des notions d'envie, de jeu et de plaisir, le groupe a l'air réceptif, c'est le demi de mêlée Layan qui remet les maillots, noir pour l'occasion, à chaque joueur.
Une accolade, un petit mot, chacun repart s'asseoir avec son paletot.
Il est midi, les joueurs se changent, les derniers soins de Patxi, l'arbitre est là, Pierre, le dirigeant responsable de la feuille de match se rend dans son vestiaire avec son homologue parisien, tout le monde est masqué, on vérifie sur les tablettes que tout est ok, joueurs de 1ère ligne indiqués et certifiés, couleurs des maillots, noms et numéros des capitaines, tout est ok, l'arbitre verra ces derniers avec les entraîneurs d'ici 1/4 d'heure.
L'échauffement individuel commence, les 3/4 sortent, les avants restent ensemble à l'intérieur, ils sortiront plus tard pour l'échauffement collectif. 12h55, retour au vestiaire, les dirigeants responsables de la feuille de match repartent voir l'arbitre pour valider la composition finale des équipes et verrouiller le match sur informatique. Malheureusement la signature digitale de l'arbitre n'est pas reconnue par le logiciel, la feuille de match sera donc à l'ancienne sur papier et avec validation des licences dans les classeurs spécifiques, vive le progrès !
Dimanche 7 mars - après-midi
Le match aller, qui était un match en retard, s'est déroulé la semaine dernière à Bayonne et avait vu la victoire du Racing à la dernière seconde, 41-37, après un match échevelé. Le match du jour le fut tout autant, mais le vainqueur change, c'est Bayonne qui l'emporte cette fois, sur un score de 40-30. Pour le résumé de ce match, c'est par ici.
Les vestiaires bayonnais étaient joyeux, la musique sortait de partout et de nulle part à la fois, reprise à tue-tête par des joueurs en mode happy face. Pourtant il y avait de la casse, le match avait laissé des traces sur les corps bayonnais, tout autant chez les Racingmen, mais avec la tête en plus...Le « pusa » (prononcez pucha) pilou-pilou bayonnais des jours de victoire.
La réception pour cause de Covid, eu lieu sur la terrasse ; comme convenu les dirigeants parisiens avaient bien fait les choses : sandwich jambon-fromage, compote, pomme et une petite bouteille d'eau. Le déjeuner de 9h30 étant loin, les sandwichs furent avalés, pomme et compote idem, il y avait même le soleil qui tapait un peu plus fort. 16h, l'heure de remonter dans le bus, de repartir à Montparnasse, train à 17h52, la circulation parisienne n'est pas celle de la province, même un dimanche, surtout un dimanche, ensoleillé de surcroît. Il nous faudra 3/4 d'heure pour faire les 10km qui nous séparent de la gare, largement au-dessus de la moyenne d'un honnête marathonien. Les Parisiens nous ont préparé un en-cas pour la route, il est dévoré à la gare. Pour les dirigeants, un bonus supplémentaire avec des bières, une bouteille de vin rouge et de la charcuterie. Les boutiques de la gare qui vendent des M&M's et des kinder font recette, pratiquement tous les joueurs et membres du staff vont se ravitailler directement au producteur contre espèces sonnantes et trébuchantes.
Le train part à l'heure, les bières sont ouvertes, c'est le sponsor de la coupe d'Europe qui régale, mais l'ambiance festive est quand même limitée par les masques obligatoires, le wagon-bar aux abonnés absents et les autres passagers indifférents à une victoire à l'extérieur. Le retour est joyeux, on se moque avec gentillesse, on partage les friandises achetées rubis sur l'ongle, le pack de bière ne passe pas le périph qu'il n'existe déjà plus, la vidéo du match tourne sur les ordis des entraîneurs et de Gégé, le vidéaste, qui prépare toutes les stats. Le voyage passe vite, Bordeaux est déjà là, la contrôleuse en chef répète vingt fois qu'il faut garder son masque au-dessus du nez, ils se rabaisseront vingt fois dans un sourire complice et entendu... Bayonne arrive, les joueurs prévoient, entre eux, une prolongation, l'appartement hôte est vite trouvé, ça sera chez moi décrète le principal instigateur de l'after-train, tous les autres valident. Tous n'iront pas, mais ceux qui y sont allé ont donné pour deux, voire trois en les forçant un peu. Les deux jours de repos prévus au planning des joueurs feront le plus grand bien. Le staff se sépare lui, sur le parvis de la gare bayonnaise, le travail est fait, plutôt bien d'ailleurs et la victoire du jour permet d'envisager une fin de saison avec quelques promesses, il s'agira de les confirmer lors des prochains matchs mais ça c'est déjà une autre histoire...
virilmaiscorrect
Merci pour ce récit !!! Mais rester dans un hôtel a Paris à 20 ans misère, misère !!!! 🙂
Team Viscères
La "sorte de Backgammon chinois" que l'on voit sur la photo en fait appelé "dames chinoises".
Jeu qui comme son nom l'indique a été inventé par un Américain sous le nom de "Halma" et se jouait d'abord sur un plateau de jeu carré avant d'être breveté et commercialisé sous sa forme en étoile par des Allemands.
MARCFANXV
Comment tu peux monter jouer à Paris à 20 ans et rester à l'hôtel ? Pu--ain d'Covid...
Rchyères
Encore merci au Racing pour la diffusion du match sur les réseaux sociaux , on a pu passer un moment très sympa