C’est l’histoire d’une équipe qui s’est forgée autour d’un homme. Philippe Odin, dit Philou, était le cœur de la section rugby de l’EMLyon, école supérieure de commerce de la ville. Considéré comme “charismatique et généreux”, il était à la tête de cette formation depuis une dizaine d'années. Ces méthodes, parfois peu orthodoxe, et son caractère, toujours entier et franc, divisaient. Mais de la bouche de ceux qui l’ont connu, s’il y a bien une chose impossible à lui enlever, c’était sa passion du rugby, du coaching et de la gagne. D’ailleurs, Guillaume, membre de l’équipe, explique : “Je ne me suis jamais pris pour un immense joueur. Par contre, j’ai toujours aimé être ultra impliqué dans l’équipe. J’adore le rugby, ses valeurs, son ambiance et j’étais passionné pour pleins de raisons, dont notre entraîneur.”
Passionné, Philou pouvait faire des heures de routes chaque semaine pour son équipe. Selon Guillaume, il aimait former la relève au ballon ovale et à ses valeurs : “Il adorait s’occuper des jeunes. Il gérait l’UNSS dans un collège, il encadrait aussi dans un lycée, il entraînait sa propre équipe et il avait aussi un club de VTT. Il vivait à une heure de route de là où on s’entraînait et il était là tout les mercredi soir, tous les jeudis et tous les samedis.” Comme nous le raconte Matthis, un autre membre de la section, c’était “quelqu’un qui aimait encadrer et voulait inculquer les valeurs du rugby : respect, travail et humilité.” Il était notamment fier de ce qu’il avait pu construire, à l’image d’une équipe qu’il désignait “prête à gagner le championnat” et qui avait vu ses ambitions brutalement stoppées par le Covid il y a deux ans. Pourtant il le répètait sans cesse : "Cette années là, c'était notre année. Je le sentais."
Dévoué et passionné
Pour cette saison universitaire 2021-2022, l’équipe avait “beaucoup de qualités” selon les deux joueurs. Ainsi, les rêves de Philou ne semblent plus si illusoires. Malheureusement, l’équipe n’aura pas les résultats escomptés. Avec deux matchs nuls et quatre défaites en début de saison, le bilan est loin des ambitions et l’entraîneur compétiteur n’est pas rassasié. Mais une fois la moitié de l’année écoulée, c'est l’occasion de repartir de zéro. Plusieurs élèves partent en stage, d’autres en reviennent, le groupe change et la dynamique aussi. Ainsi, Mathis est nommé capitaine en décembre, son coéquipier Guillaume lui aura un poste privilégié. Avec Philou, il encadrera en partie l’équipe et sera notamment là pour gérer au mieux ce qui se passe “en dehors des entraînements”. Car le coach le sait, la vie d’un étudiant est mouvementée et pour celui qui place “l’hygiène de vie” au-dessus de tout, le rugby et les soirées ne sont pas toujours vu d'un bon oeil.Rugby Amateur : quels sont les différents types de coachs ?
Cependant, les projets et ambitions de Philou ne pourront pas voir le jour directement à travers ses mots cinglants, son regard ou ses petites piques d'avant-match. Le 17 janvier 2022, Philippe Odin décède tragiquement à seulement 51 ans. Une disparition brutale qui choque les jeunes hommes de l’EMLyon, pour qui le personnage avait marqué les esprits. Profondément attaché à lui, Guillaume décrit les souvenirs liés à sa disparition :
J’étais en stage, il devait être 18h20 et je lui ai envoyé un message. Je voulais lui dire que je serais un peu à la bourre mercredi pour l’entraînement. J’avais une réunion prévue ce jour-là. Il me dit qu’il n’y a pas de soucis. Le lendemain, on apprend que le grand monsieur qu’il était est décédé deux heures après ce message. Et là, il y a un truc qui se passe. Je me disais… Put*in, il m’a donné des responsabilités, j'avais des projets avec lui, il encadrait le sport, là où j’ai mes meilleurs potes, il me faisait marrer, etc. C’était trop bizarre, tu te retrouves sans lui et tu ne t’y attends pas. Le lendemain, on se retrouve pour l’entraînement. Bon déjà, il y a beaucoup de pleurs. C’est pas facile comme moment. Puis après, on se dit qu’il y a plus ce mec qui te dis de fermer ta gu*ule quand tu fais le mariole. Et ensuite, tu te dis que t’as un match de phases finales à jouer dans 10 jours.”
Exigeant, mais méritant
Pour Guillaume qui joue au rugby depuis son enfance, il explique qu’on pouvait “avoir du mal avec lui.” Pour Mathis aussi, le personnage de Philou dégageait également quelque chose d’unique : “Je fais partie de ceux qui l’ont rencontré dans tout son caractère. Il avait ses petites habitudes. Au début, tu le vois comme quelqu’un de très sévère et pas très accueillant. Mais l’ambiance de l’équipe te pousse à rester.”
Cependant, une fois “qu’on commençait à le cerner, on se liait d’affection pour lui”, décrit Guillaume. En rejoignant cette section rugby, il ne pensait pas “rejouer au ballon comme (il a) pu le faire”, lui qui avait arrêté de côtoyer les prés au moment de commencer une classe préparatoire. Son coéquipier va aussi dans le sens d’une personnalité plus profonde en précisant : “Quand tu venais aux entraînements, tu sentais que tu côtoyais une bande de potes qui allait sûrement le rester pour longtemps. Mais à côté de ça, Philou te faisait comprendre que ce n’était pas parce qu’on était à l’université qu’on devait prendre le rugby à la légère. Il allait falloir s’envoyer pour avoir ses chances.”
Mais alors, à quel moment le joueur apprend à aimer un coach au caractère si unique ? Si la question peut sembler complexe, la réponse fut limpide pour les deux coéquipiers. Au point même où il se coupèrent la parole pour livrer, finalement, le même souvenir. Mathis et Guillaume sont unanimes, c’est leur premier match sur le pré sous les ordres de Philou qui les a fait tant aimer le personnage. Désigné capitaine peu avant la tragique disparition, Mathis déclare : “C’était un compétiteur. Tu sentais qu’il voulait gagner, plus que ça, tu sentais qu’il souhaitait TE faire gagner. S’il te faisait rentrer sur le terrain, c’était uniquement pour ça.” Guillaume se rappelle notamment d’un entraînement où Philou leur avait fait faire des exercices invraisemblables. Peu de temps après, ils se rendront compte, en regardant une vidéo sur internet, que ce dernier avait repris les méthodes des All Blacks. Pour souder le groupe, il avait aussi emmené ces joueurs dans des situations originales comme une séance de théâtre d’improvisation.
La peine, puis la victoire
Une fois le décès de leur entraîneur appris, Guillaume se rappelle très bien que le groupe était un peu perdu. Il déclare : “On se demande comment faire, on est 40 mecs sur un terrain à l’entraînement et on se retrouve sans personne pour nous encadrer. Mais on se dit qu’on a un huitième de finale et celui-là, on veut le jouer à 200%.” Dans le groupe, les profils sont variés. Mais de celui qui n’a presque jamais connu Philou à ceux qui étaient très proches de lui, tous veulent se battre pour sa mémoire. Il complète en précisant également : “Je veux appuyer sur le fait que sportivement, rugbystiquement et humainement, c’était quelqu’un d’incroyable. Peu de décès m’auront autant marqué que celui-là. Il était très apprécié et on a pu voir qu’il comptait dans la vie de beaucoup de personnes. Après qu’il nous a quittés, on s’est fait une promesse, celle de ne rien lâcher et de gagner un titre, car lui n'avait jamais pu le faire.” Une déclaration qui “ne relevait pas de l’évidence” selon les deux coéquipiers. Ils avouent que certains joueurs n’avaient jamais joué avec l’équipe, quand d'autres n’avaient plus touché le cuir depuis plusieurs années. Face à eux, des équipes entraînées, habituées aux phases finales et particulièrement bien encadrées allaient se présenter.RUGBY. Jonny Wilkinson endeuillé après la disparition de son mentor
Mathis raconte que le coach avait une présence particulière sur le terrain. Pendant les matchs, ce dernier aimait se mettre derrière les poteaux de la zone d’essai où il fallait marquer. Il motivait ses joueurs depuis la zone où il souhaitait les emmener. Pour remplacer cette présence atypique, les joueurs se sont transcendés et ont réussi à réaliser ce qui leur était impensable. À la suite de phases finales réussies, ils se qualifient pour le Final Four du championnat ESC. Ce tournoi au format particulier se déroule sur deux jours et voit se confronter les 4 meilleures sections rugby issues d’école supérieure de commerces. Avec une demi-finale le samedi (60 minutes) et une finale le dimanche (80 minutes), l’EMLyon décroche le titre sur la mythique pelouse du Stade Jean-Bouin alors qu'elle était pourtant menée dans les ultimes minutes. Quelques semaines plus tard, ils réalisent le doublé en remportant le Top Eight. Cette compétition réunit les meilleures sections rugby des grandes écoles et les voit s’affronter à Marcoussis.
L’héritage de Philou
En remportant le doublé, l’équipe réalise une performance “qui n’a plus été vue depuis 15 ans” selon les deux joueurs. Mathis raconte le sentiment ambiant à la suite de la victoire au Final Four : “Après le moment d’euphorie générale classique après un titre, on est tous revenus naturellement à Philou. On s’est rassemblés au centre du terrain, on a fait un grand cercle inter-générationnel mêlant les différentes personnes qui l’avaient connu. Puis avec moi, Guillaume et Paul (autre joueur qui a pris la relève a posteriori), on a mis une photo de lui au centre du cercle. Paul a fait un très beau discours, des anciens ont aussi pris la parole pour parler de lui. C’était un vraiment beau moment.”RUGBY AMATEUR. Quatre saisons après la liquidation, Auch monte en Nationale !
Chaque année, le vainqueur du Final Four est automatiquement qualifié pour la prochaine édition et doit organiser celui de l’année prochaine. Pour 2023, les joueurs de l’EMLyon espèrent pouvoir organiser ce dernier à la maison. Malgré cela, l’incertitude demeure quant à la tenue du Final Four en terre lyonnaise, plusieurs autres sections de l’école ont remporté leur championnat respectif et se retrouvent dans des conditions similaires. Guillaume et Mathis aimeraient cependant pouvoir organiser la plus belle fête possible afin de mettre en avant leur équipe pour leur dernière année à l’EMLyon. Il espère aussi pouvoir rendre un vibrant hommage à leur entraîneur, car les deux joueurs nous l’affirment : “Une personnalité comme ça, ça ne s’oublie pas. Philou, on s’en souviendra encore longtemps, donc l’année prochaine, on espère pouvoir faire quelque chose en sa mémoire.”
En hommage à Philippe Odin, le Rugbynistère tient à témoigner tout son soutien et ses plus sincères condoléances à la famille du défunt ainsi qu'à ses proches. En espérant que son aura unique continue de vivre à travers ceux à qui il a inculqué l'art du ballon ovale.
Kyb
@Erwan Harzic... arrête-toi une minute et relis-toi, stp !
😀 tu écris : En espérant que son aura unique continue de vivre à travers ceux à qui il a éduqué l'art du ballon ovale.
en français à présent <=> En espérant que son aura unique continue de vivre à travers ceux auxquels il a inculqué l'art du ballon ovale.
Elle passe bien mieux entre les poteaux, celle-ci, non ?
Dupont9A
Tristesse et joie, il y a toujours un début dans la fin.
Bravo à cette équipe et respect pour leur entraîneur partit trop tôt 🙏
taist
surtout, ne pas oublier qu'il y a des milliers de philou qui inculquent les valeurs du rugby à nos enfants, qu'ils en soient remerciés à chaque match.
pascalbulroland
C'est le genre d'article qui vous devriez faire plus souvent...Merci pour cet hommage à un passionné de rugby et la "belle" histoire qui a suivi pour ses joueurs
oc
Peut on parler du saint EMLyon .?
pascalbulroland
Joli !