EXCLUSIF. La lettre de Philippe Saint-André à Mourad Boudjellal

Plus fort que Bernard de la Villardière, Élise Lucet, Mediapart ou Laurent Bénézech, notre grand reporter Ovale Masqué a encore une fois mis la main sur un document exclusif : une lettre de Philippe Saint-André envoyée à Mourad Boudjellal, il y a de cela quelques jours.

Mais qu'est-ce que le sélectionneur national peut bien raconter à son ancien président dans cette missive ? On vous le laisse découvrir... mais quand on commence à recontacter son ex, en général c'est jamais bon signe.

Mon cher Mourad,

Je sais ce que tu penses au moment d'ouvrir cette lettre. Tu dois probablement être très surpris de recevoir un courrier de ma part. Déjà parce qu'opter pour la correspondance écrite en 2014, c'est devenu presque aussi désuet que de faire une passe sur une situation de 3 contre 1 en Top 14.

Mais à vrai dire je n'ai pas vraiment pu faire autrement, puisque Serge Blanco a le mot de passe de ma messagerie et qu'il lit et répond à tous mes mails depuis 3 mois. Hier encore, je me suis fait engueuler parce que j'ai commandé Fifty Shades of Grey pour ma femme sur Amazon... en même temps elle en avait bien besoin. Je crois que ça fait un bon moment que je ne fais plus bander personne.

Je ne sais pas pourquoi, à quelques jours des Test Matchs de novembre, j'ai décidé de me confier à toi. Peut-être parce que finalement c'est encore toi qui es le plus sympa avec moi dans la presse depuis quelques mois. D'accord, tu m'as traité de radin, de pleureuse... mais comparé à ce que je me prends dans la gueule tous les jours, ça reste assez mignon, finalement. Tu n'as jamais remis en cause mes compétences non plus. Pourtant, tu pourrais taper plus fort.

Comme un ex qui balance une sextape sur le net après une rupture douloureuse, tu pourrais te venger. Je sais que tu ne m'as jamais pardonné de t'avoir quitté pour une plus belle que toi. Toi et moi, ça aurait pu marcher... mais voilà, il paraît que le XV de France, ça ne se refuse pas. Sauf quand on est Guy Novès. Au final, il a sûrement eu raison de ne pas risquer de se compromettre dans un tel bordel. La prudence avant tout. On reconnaît bien là le type qui demande les trois points même quand son équipe mène par 30 points d'écart.

Il faut bien avouer que ça a mal tourné pour moi, cette histoire d'équipe de France. Pourtant, au départ, j'étais vachement confiant ! Je succédais à Marc Lièvremont... Marc Lièvremont putain ! L'ancien entraîneur de Dax. Il avait l'air gentil hein, mais il avait clairement pas les épaules pour le job. La dernière image qu'on a eu de lui, c'était celle d'un type au crâne rasé, qui errait dans les couloirs de son hôtel avec un pack de bières sous le bras. Un vrai punk à chiens, quoi. Il était à une demande en mariage en direct de passer pour le dernier des tocards.

Moi, avec mon expérience, mon CV international, mon diplôme d'anglais obtenu chez Wall Street English et mon aura d'ancien capitaine, j'avais tout pour réussir. Je n'ai peut-être pas réalisé l'ampleur de ma tâche. J'ai peut-être pêché par orgueil. Tellement confiant que j'ai engagé l'entraîneur de Biarritz comme coach de mon attaque. Un peu comme partir à la guerre et nommer l'inventeur du pistolet à eau comme général des armées.

Enfin bon, à un an de la Coupe du monde, c'est trop tard pour avoir des regrets. Et au bout de 3 ans, je commence enfin à m'habituer à ce rôle ingrat, ce rôle de punching-ball national. Je me surprends d'ailleurs à me prendre d'affection pour François Hollande, qui occupe une fonction à peu près similaire à la mienne. La seule différence c'est que moi je ne peux pas me taper d'actrice célèbre, même à scooter je ne réussirais pas à tromper la vigilance de Serge. Tu serais surpris de voir à quel point il est resté véloce pour un type de 140 kilos.

Bref, je porte ma croix, et je ne me plains plus. À quoi bon ? Je suis sélectionneur du XV de France et ma vie consiste principalement à croiser chaque jour 5000 personnes qui pensent pouvoir mieux faire mon job que moi. D'ailleurs, l'autre jour, j'ai commandé une entrecôte au restaurant, et le serveur m'a craché à la gueule avant de me dire que j'aurais dû prendre la soupe du jour. Enfin peu importe. Moi le seul truc que je supporte pas au resto, c'est le Vietnamien...

J'ai donc finalement compris que quoi que je fasse, je serai critiqué. Dernièrement, on m'a même reproché d'avoir dévoilé une liste de 74 joueurs suivis de près par notre staff. Ça faisait trop, apparemment. En gros on m'a reproché de prendre le temps de regarder d'autres matchs que ceux de Toulon, Toulouse et Clermont. D'essayer de mettre tout le monde sous pression et de faire comprendre que personne n'avait son billet d'avion réservé pour l'Angleterre. Bon, je peux comprendre que ça agace les journalistes, vu que la plupart d'entre eux ne connaissent pas plus de 40 joueurs différents... Du coup ils ont dû aller sur Wikipedia pour apprendre qui était Alexandre Dumoulin. Tu me diras, moi non plus je savais pas qui c'était y a trois semaines : on me paye pas assez cher pour m'obliger à regarder les matchs du Racing Métro.

Ah, on m'emmerde aussi avec Rory Kockott. Comme quoi il aimerait pas assez la France pour mériter de porter le maillot bleu, comme quoi il aurait préféré jouer pour l'Afrique du Sud, tout ça. En même temps, comment lui en vouloir ? Quand t'envoies ton CV pour être cuistot au Crillon et que tu te fais refouler, t'es quand même bien content de te faire embaucher au McDo de Rosny-sous-Bois à la place. C'est la crise, il faut savoir se contenter de peu, François Rebsamen l'a encore répété il y a 5 minutes à la radio. Aujourd'hui, la question que se posent les observateurs c'est « Est-ce que Kockott va chanter la Marseillaise ? ». Par contre, personne ne se demande s'il est capable de sortir un ballon en moins de 22 secondes, soit le record de vitesse enregistré par Morgan Parra et Maxime Machenaud l'année dernière. Et puis franchement, si on gagnait des matchs au moment des hymnes, l'Argentine serait déjà 5 fois championne du monde...

Non moi je l'aime bien, ce Rory. J'ai parlé avec lui 5 minutes l'autre jour, et honnêtement, il maîtrise à peu près aussi bien la langue française que Benjamin Fall et Louis Picamoles réunis. Il pourrait probablement rédiger des news sur Rugbyrama sans que ça ne choque qui que ce soit. Puis son gros point fort c'est qu'il joue à Castres : c'est un type qui a l'habitude de perdre, mais qui peut se retrouver en finale et même la faire gagner sur un coup de chatte. C'est tout à fait ce qu'il faut au XV de France, donc. Bon par contre pour se faire aimer du grand public c'est pas encore gagné, surtout quand on joue à un poste de pute comme ça. Je vais peut-être essayer de lui apprendre à pleurer sur commande, puisque ça a bien marché pour Spedding. Puis pour ce qui est de pleurer, là j'ai une vraie expertise, personne pourra dire le contraire pour une fois.

Bref, je ne sais pas trop pourquoi je te raconte tout ça. J'avais besoin de m'évader un peu, de profiter de ces quelques instants de liberté, puisque Serge est reparti à Biarritz, sans doute pour faire comprendre à ses joueurs qu'il exécuterait leurs familles en cas de non-remontée en Top 14. Tu devrais le voir quand il se met dans la peau du parrain... on dirait Didier Bourdon qui jouerait dans le biopic de Pablo Escobar. Même toi dans ton rôle de Scarface de la Rade, d'Al Pacino version couscous, tu es moins caricatural que lui. Je te trouve même assez bon, pour tout te dire. Tu me fais souvent rire et pourtant ces jours-ci plus grand chose ne me fait rire, même pas les plaquages de Yoann Huget.

Je sais ce que tu vas penser, que je te flatte parce que je vais bientôt être au Pôle Emploi, et que j'aimerais bien me placer pour récupérer le poste de manager du grand Nanard. C'est vrai que le RCT nous fait tous rêver. Ici, Juan Smith est redevenu un joueur de rugby. Ici, Jacques Delmas a été sacré champion d'Europe de rugby. À la lumière de tous ces miracles, si je signe chez toi demain, je suppose que j'ai toutes mes chances d'embrasser une grande carrière de chanteur d'opéra.

Je vais pas te le cacher, c'est vrai que l'après XV de France me fait un peu peur, surtout la perspective de me retrouver à côté de Pierre Berbizier à la table des Spécialistes Rugby, ce cimetière où vont mourir les entraîneurs dont plus personne ne veut, même pas Bayonne. Mais bon... qui sait, peut-être puis-je encore espérer une issue heureuse ? Un happy end tiré par les cheveux, à l'hollywoodienne ?

J'ai lu toutes tes interviews quotidiennes sur ton blog, Var-Matin.com, et tu y répètes depuis 3 ans que tu es persuadé que la France va gagner la Coupe du monde 2015. Le penses-tu vraiment ? Ou bien dis-tu cela uniquement dans l'espoir de balancer un bon gros « je vous l'avais bien dit » à la face du monde, au cas où ça arriverait ? C'est difficile à dire avec toi. Et moi-même, je ne sais pas si j'y crois vraiment encore. Mais si le XV de France n'est jamais aussi fort que quand il est humilié, ridiculisé et descendu plus bas que terre, on peut dire que je l'aurai préparé dans les conditions idéales pendant 3 ans.

Bon, je te laisse. J'entends des pas monter dans l'escalier, c'est probablement Serge qui revient avec sa liste des 30 pour le match des Fidji. Je crois qu'il a pris beaucoup de joueurs de chez toi, tu vas enfin pouvoir réaliser ton rêve : être le nouveau Stade Toulousain et te plaindre des doublons.