Originaire du sud-ouest des Landes, Amélia Reynaert a côtoyé le rugby de près ou de loin depuis l'enfance, "même si le football était le sport préféré dans la famille." C'est pourtant il y a deux ans seulement qu'elle commence à taquiner l'ovale lors de sa première année d’étude à Sciences Po Bordeaux, où le sport est obligatoire. Avec son équipe, elle joue notamment le championnat interuniversitaire et prépare chaque année le Criterium inter-IEP, "où Bordeaux se retrouve la plupart du temps en finale contre Paris". Mais désormais, celle qui joue ailière ou centre en rugby à 7, a pris la direction de la Russie.
Quand et comment t'es-tu retrouvée en Russie ? Raconte-nous ton acclimatation !
La deuxième année de Sciences Po Bordeaux est une année de mobilité internationale, et j’avais choisi de partir à Moscou. Je m’attendais à un choc culturel intense. Choc culturel il y a eu, mais les Russes sont en réalité bien plus proches de nous que ce qu’on nous laisse penser. J’ai de suite accroché avec la mentalité, même si au début, ne pas parler la langue a été une grosse barrière. La mentalité russe est simple : ce sont des gens qui savent vivre avec juste ce qu’il faut. La classe moyenne n’existe pas trop à Moscou, il y a soit des très aisés, soit des pauvres. La population sait donc se contenter de ce qu’il y a, sans jamais vouloir de choses inutiles. Et c’est la même chose pour les équipements sportifs, il faut parfois faire preuve d’imagination ! Les Russes sont loin d’être
grincheux, peu accueillants et nationalistes comme le cliché nous les présente. Certes, personne ne sourit dans le métro, mais les Français sont sur ce point-là identiques. L’acclimatation a été facile, et les différences par rapport à la France ne sont pas que des points négatifs : aucune panne de métro en plus d’un an à Moscou ! L’aspect chaleureux de leur culture se retrouve également dans le petit monde du rugby russe.
Justement, tu n'as pas abandonné le rugby... Comment tu t'y es prise pour trouver un club ?
J’avais en tête de continuer le rugby, même si je savais que le sport y était peu connu, encore plus pour les filles. Je savais que les mondiaux féminins de rugby à sept y avaient eu lieu il n’y a pas si longtemps, et que leur équipe féminine avait de bons résultats. Impossible donc de ne rien trouver, d’autant plus en étant dans la capitale. Je ne savais pas non plus comment appréhender les entrainements, ne parlant pas russe et voyant l’hiver arriver. Trouver un club à Moscou s’est révélé compliqué, car la plupart des équipes ne passent que par Vkontakte - l’équivalent Facebook russe, que je n’avais pas au début - et ne publient qu’en russe. Le site de la Fédération n’est pas non plus traduit. Les recherches Google en anglais sont donc vaines, ou ne donnent que très
peu de résultats. Mais au bout d’un mois de recherche, j’ai finalement trouvé l’équipe de l’Université d’Etat de Moscou (МГУ ou MSU). J’ai commencé les entrainements en octobre, où le legging sous le short est déjà de rigueur.
Un mot sur ton équipe ?
Le club de la MSU, comme son nom l’indique, est avant tout un club étudiant, rattaché à l’université. Mais en réalité, c’est un peu plus compliqué et beaucoup de non-étudiants y jouent. Le club se compose de trois équipes : une équipe masculine de rugby à 15, une équipe étudiante de rugby à 7 encore jeune, et une équipe féminine de rugby à 7, elle aussi encore jeune. L’équipe « principale » du club est celle de rugby à 15. Elle joue à peu près tous les championnats de Moscou et de sa région, et est actuellement en première place de la deuxième division. Beaucoup d’étrangers sont passés par cette équipe, parmi lesquels pas moins de trois Français.
L’équipe étudiante est encore jeune, et a notamment participé au tournoi étudiant de rugby à 7 de Moscou. La plupart des joueurs sont aussi dans l’équipe masculine. L’équipe est en première division de son championnat. L’équipe féminine, qui est mon équipe, est également très jeune. En début d’année, l’équipe était seulement composée de trois filles, mais elle a ensuite grandi. Nous avons participé à plusieurs compétitions, représentant pour la première fois la MSU dans le rugby féminin en tant qu’équipe à part entière. Nous nous sommes entraînées très sérieusement, la moitié de l’année par des températures négatives autour de -20 degrés.
Certains entrainements étaient durs, car peu de filles venaient, à cause des études ou du travail. Mais au final, les efforts ont fini par payer, et même si on ne joue pas un rugby de très haut niveau, on ne fait pas non plus que courir avec un ballon dans la main. L’organisation de l’équipe s’est faite au fur et à mesure, entraînement après entraînement. Et cela a aussi été un excellent moyen d’améliorer mon russe.
Il y a d'autres expatriées ?
Dans l’équipe féminine, nous étions deux Françaises, une Espagnole et une Anglaise. Nous sommes donc très habituées aux étrangers, et on se sent à la MSU comme à la maison. L’intégration ne pose aucun problème, les entraineurs parlent plus ou moins anglais (de ce côté-là les filles, avec leur entraineur, ont plus de chance), mais si quoi que ce soit n’est pas clair, un joueur vous aide directement avec la traduction. L’équipe féminine et masculine sont très proches, et nous nous entraînons ensemble, mais avec différents entraineurs. Être une femme et jouer au rugby ne soulève aucune question là-bas, au contraire les garçons n’hésitent pas à nous corriger et à nous expliquer certains points.
Raconte-nous un peu ta saison : si tu as plusieurs anecdotes, c'est le moment de te lâcher !
L’année avec la MSU a été remplie d’événements. En tant que club étudiant, l’esprit troisième mi-temps et famille est bien présent. Tout d’abord, vers fin octobre/début novembre, nous avons fêté l’anniversaire du club. Pendant toute la journée, plusieurs matchs ont été organisés. Il y a eu un match des anciens, un match pour l’équipe des filles ou encore un touché pour ceux qui n’ont pas encore beaucoup d’expérience. Le match le plus important était celui de l’équipe masculine, qui a organisé un match Humanitaires contre Mécaniques. En gros, ce sont les deux grosses branches de facultés de la МГУ, et cette opposition est le thème principal de la journée, tant sur le terrain que plus tard dans le bar. Après cette journée, on se connaissait déjà tous plus ou moins. Nous étions déjà trois Français dans l’équipe, mais on s’est sentis comme à la maison.
Pour ce qui est des événements plus importants, il faut absolument mentionner le « varsity » organisé entre l’université d’Etat de Moscou et l’université d’Etat de Saint-Pétersbourg (МГУ и СПБГУ). Chaque année, une des deux équipes se rend chez l’autre. Cette année, nous sommes allés à Saint Pétersbourg en train. Ce varsity a lieu en général mi-avril, et soude toute les équipes, masculine, étudiante et féminine. Un match de rugby à 7 féminin, de rugby à 7 masculin étudiant, et un match de rugby à 15 pour l’équipe masculine sont organisés. Le dernier match est, bien-sûr, le plus important. Le voyage en équipe permet de mieux se connaitre, même si on est déjà tous familiers. Chaque voyage a un thème : celui de cette année était le centenaire de la révolution d’Octobre. Nous avons donc fait tout le trajet en train, quelques 9 heures de route, habillés selon le thème, ayant appris les chansons nécessaires. Malheureusement, et de très peu, c’est Saint Pétersbourg qui a remporté la coupe cette année.
Après la journée de match, toutes les équipes (à peu près 100 personnes) se sont retrouvées dans un bar, et nous avons encore fait la fête sur les neuf heures de retour.
Tu as joué sur de la neige ?
L’équipe féminine a participé cet hiver au championnat de rugby sur neige mais je n’y ai pas participé car je n’étais pas en Russie à ce moment-là. Il s’agit d’un championnat spécifique, exactement les mêmes règles que le rugby plage, mais en hiver. A savoir qu’il ne s’agit alors pas du seul moment où nous avons joué en plein froid. Les entrainements n’ont jamais été annulés à cause de la météo. Savoir se couvrir pour s’entrainer en plein hiver demande une certaine maîtrise, mais le coup de main arrive vite. Il y a certaines techniques essentielles, comme mettre des sacs plastiques dans les chaussures pour isoler du froid (pas de l’eau, car il fait tellement froid que la neige dans les chaussures ne fond même pas, d’où le problème). J’ai fini beaucoup d’entrainements sans sentir mes pieds ou mes mains, mais on s’habitue. Cela rapproche même du sport en lui-même, augmente la motivation, et soude les équipes ! Je ne regrette absolument aucun entrainement, même s’il est plus dur de respirer en hiver. Et surtout, on apprécie encore plus le retour d’un terrain plat sans neige !
Nous avons aussi participé au championnat de Moscou de Beach Rugby, en juin, où nous avons dû affronter en poule une équipe professionnelle et semi-professionnelle. Notre but était principalement de jouer et de profiter du beau temps, mais nous ne nous sommes pas trop mal défendues ! Nous avons aussi pu inaugurer les nouveaux et premiers maillots de notre équipe féminine, longuement attendus ! Nous avons décroché la cinquième place et avons célébré cette semi-victoire au champagne russe avec le club.
Crédit photo : Kirill Akinfeev
Un mot sur la place du rugby en Russie ?
La grosse différence entre le rugby en Russie et en France, où dans les pays où il est populaire, c’est l’argent. La Fédération russe ne possède pas d’autant d’argent que dans « nos » pays, et le rugby en lui-même ne génère pas énormément de patrimoine. Les licences ne sont pas forcément payantes, payer pour faire partie d’une équipe est souvent « sur base de volontariat ou de possibilité ». Les structures ne sont donc pas toujours parfaitement entretenues, les compétitions manquent d’encadrement, et tous les entraineurs n’ont pas forcément de diplôme. Ce sont, le plus souvent, d’anciens joueurs qui sont aussi arbitres, mais la pédagogie n’est pas toujours là.
Loin d’être aussi populaire que le football, le hockey ou le handball, le rugby se concentre surtout dans les grandes villes. Vivre dans la capitale est alors un grand avantage. Ce n’est pas un sport diffusé à la télévision, donc les anciennes générations ne connaissent pas ce sport. C’est une discipline encore jeune, mais qui a tendance à se développer. Les très bons résultats de l’équipe nationale féminine en rugby à 7 ont un bon rayonnement, tout comme la participation au championnat européen de l’équipe masculine en rugby à 7. Les joueurs connaissent tous les très rares bars où les matchs sont diffusés, et la communauté du rugby est assez petite.
Pour autant, le petit monde rugbystique russe a ses avantages. Les matchs professionnels sont très abordables, même si rares. L’équipe de l’Ienisseï joue deux fois par an à Moscou en Challenge Cup, et les matchs sont aux alentours de 4€, 5€ pour les plus chers. Il y a également une étape du championnat d’Europe de rugby à 7 qui se déroule à Moscou tous les ans. La fédération est un monde assez petit, il n’est donc pas rare de jouer dans un club ou un professionnel jouait avant, ou même de côtoyer des joueurs professionnels. Les points faibles sont sans doute l’absence de formation des entraineurs et le manque d’infrastructures. Mais malgré cela, tout fonctionne quand même !
La suite, c'est quoi pour toi désormais ?
Pour ma part, il me reste encore à finir mes études, et à continuer à jouer au rugby ! J’ai encore deux ans à faire à Sciences Po Bordeaux, et ma dernière année de master sera de nouveaux à Moscou. Après mes études, je compte rester en Russie, la mentalité m’ayant énormément plu. Moscou est une ville magnifique et pleine d’opportunités, tant au niveau professionnel que rugbystique. Mon équipe est encore très jeune, mais aider à la construire est très intéressant, et le club de la МГУ est maintenant comme une deuxième famille, seulement russe.
ced
comment t'es-tu retrouvée en Russie ? : par erreur, c'est pas possible autrement
Raconte-nous ton acclimatation : tu peux pas t'acclimater, il fait plus froid qu'à Clermont
noComment
mais moins qu'à 'aurillac !