À 20 000 kilomètres de l’Hexagone et malgré 12h de décalage horaire, il suit toujours le Top 14 comme il le peut. Quinze mois après son dernier match de rugby et même s’il est retourné sur son île natale, Teiva Jacquelain n’a pas encore quitté le monde de la balle ovale. Dans le cœur, du moins. Lorsqu’il aura fini de réparer son genou meurtri par une grave blessure survenue en décembre 2022 sous les couleurs de l’Aviron Bayonnais, le Tahitien de 29 ans sait qu’il en aura encore dans le moteur pour répondre aux attentes du professionnalisme, dans son for intérieur.
"Il me reste une petite opération à prévoir pour retirer un cyclope apparu lors de la cicatrisation de mes ligaments croisés, mais tout va bien, assure celui qui a connu la montée avec les Basques en 2022, avant d’être mis à la porte en suivant. Beaucoup d'entre nous qui avons aidé à remettre ce club là où il devait être ont été mis de côté, au moment où Bayonne retrouve l'élite, avec un nouveau centre d'entraînement et de nouvelles tribunes. J'aurais mérité un autre traitement, mais c'est la vie…"
On te demande de tout donner pour le maillot mais dès que les objectifs ont changé, on t'oublie vite.
Au moment de sa blessure aux croisés, Jacquelain était pourtant en forme. Gainé comme jamais (1m85 pour 108kg), l’ancien espoir du RCT avait, sur les deux premiers matchs de la saison, planté deux premiers essais en Top 14 matchs de la saison. Lui ? C’est aussi un garçon ayant fait ses gammes en ProD2 (15 essais en 60 matchs), mis plus d’un défenseur sur les fesses et qui compte 35 sélections avec France 7, à qui son profil rapide et puissant plaisait encore. Après avoir beaucoup travaillé et progressé ces dernières saisons, l’enfant du Pacifique venait en effet d’être intégré à la liste "Objectif 2024", censée amener les meilleurs spécialistes du 7 vers les JO de Paris, l’été prochain.
Descente aux enfers et retour à Tahiti
Jusqu’à ce que sa ligne de mire professionnelle bascule violemment : "juste avant ma blessure face aux Scarlets en décembre, alors que je m’attendais à une bonne nouvelle vu mes performances, je venais d’apprendre par Gregory Patat qu’on ne me conserverait pas. Paraît-il que mon profil ne convenait pas au jeu pratiqué par l’équipe, détaille le principal intéressé. Même si je faisais de bons matchs, mon ressenti depuis le début de la saison comme quoi je jouais grâce aux absences et que je n’entrais pas trop dans les plans était donc le bon. Trois jours après, au Pays de Galles, sur un repli défensif anodin, mon genou me lâche et je me retrouve avec un ligament croisé rompu, les 2 ménisques fissurés et un bout de cartilage arraché. Je crois que le corps a suivi l'esprit… "
Abasourdi par les nouvelles, "Tei" se retrouve surtout alité pendant un temps et confronté à la réalité du sport professionnel, avec une fin de contrat en ligne de mire et un bébé en route prévu pour le mois d’août. "Je suis resté à l’hôpital un petit moment, sans pouvoir aller aux premières échographies de ma femme, tout en devant réfléchir au futur déménagement car je devais naturellement rendre le logement prêté par le club ainsi que la voiture. La situation fut très délicate à gérer."
Dos au mur et sans opportunités apparentes, le colosse tatoué préfère prendre la solution la plus sécuritaire pour sa petite famille et décoller avant que les si longs vols ne soient déconseillés aux femmes enceintes. Résultat ? Un retour précipité à Tahiti pour vivre l’accouchement auprès des leurs.
Je suis un joueur d'instinct et un vrai soldat donc j'ai besoin de sentir la confiance et le liant autour de moi pour sortir le meilleur de ma personne. Je suis assez discret et je n’aime pas déranger. Je sais que ça souvent été mal interprété. Peut-être comme un manque d'investissement ou autre alors que j'ai toujours préféré les actes aux paroles.
Et aujourd’hui ? "Je me soigne et je me ressource, surtout. Même si je suis livré à moi-même niveau suivi médical, la naissance de ma fille me fait relativiser beaucoup de choses et je ne me prends plus la tête à chercher le pourquoi du comment. J'ai tout donné et d’ailleurs, les supporters bayonnais me l'ont bien rendu, avec leur soutien."
Quid de la suite, alors, pour l’athlète aux jambes d’acier ? "Je serai bientôt apte et à ce moment-là, je prendrai une décision sur mon avenir si un beau projet se présente à moi. Mais je ne ferme pas la porte à arrêter ma carrière non plus…" A pas encore 30 piges, on jurerait que le gaillard aux jambes d’acier en a pourtant encore pas mal sous la semelle. Fa’aitoito, Teiva !*
* "courage, Teiva", en Tahitien.